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Être objet et sujet

Je suis allé voir l’exposition Thierry Mugler au MBAM cette semaine. Disons que j’y allais à reculons: je n’aime pas la mode et je déplore que les grands couturiers et designers de mode poussent toujours dans le sens de la chosification de la femme, de son hyper-sexualisation. Pourquoi la mode se concentre toujours à alimenter les normes d’une femme maigre, à la taille menue, aux hanches prononcées, aux seins proéminents? N’y a-t-il pas d’autres formes de beauté ? L’art ne devrait-il pas nous faire sortir des sentiers battus ?

Thierry Mugler a habillé les grandes stars des décennies 80 jusqu’à aujourd’hui. Même Kim Kardashian, cette icône refaite à coups de chirurgies, au faîte de la superficialité et de l’objet sexuel sans âme, est associée à «son art»… J’allais donc à cette expo avec un regard critique, voire même un peu acerbe. Et j’en suis sorti avec une appréciation certaine. Il y a d’abord les matériaux et le travail manuel nécessaire à la confection de ces robes, sacs à main et chapeaux, qui méritent un respect minimal, voire suscitent l’admiration. Il y a aussi cet extrait vidéo où l’on voit ce grand artiste qu’est David Bowie qui, dans un défilé, porte une robe de Mugler, retire sa perruque et de sa main, étale son maquillage féminin de manière à se barbouiller la figure !

Puis, en plongeant dans cet univers, on conçoit le paradoxe du «power feminism», de la femme qui assume sa beauté et qui en fait un instrument de pouvoir. Ce sont surtout les chapeaux de sa collection qui m’ont réconcilié avec Mugler: ceux-ci sont extravagants et spectaculaires! Celles qui les portent font d’emblée un statement, une affirmation forte de soi et de son pouvoir. «Regardez-moi!» pourrait dire une femme qui porte une robe assortie à un chapeau et un sac dessinés par Mugler ! Il y a là une marque de domination dans l’espace. Un pouvoir assumé. Rien n’est plus remarquable que la femme qui porte du Mugler.

Et puis, il y a ces robes-moto et ces sacoches-Cadillac qui évoquent les grands mythes américains de la pop culture et de la consommation de masse. Des femmes et des voitures. Des femmes-objet de consommation. Mais aussi des femmes dominantes, des femmes-sujet qui jouent avec les symboles et les normes de façon à déjouer nos repères…

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J’ai lu avec beaucoup de bonheur (et un peu de tristesse) la collection de nouvelles écrite par Corinne Larochelle et intitulée «Pour coeurs appauvris». C’est une écriture qui coule de source. Et un propos fort, surtout lorsqu’au terme de notre lecture, nous nous apercevons de ce qui en ressort: une forme de critique sociale de l’amour au XXIe siècle… Où est passée la séduction? Que reste-t-il de l’abandon ? La sexualité y est omniprésente, mais dans toutes ses déclinaisons, incluant ces baises banales qui manquent de résonance… On ne sort pas tout-à-fait indemne de cette lecture. Mais on se dit que faire l’amour, aimer et se faire aimer, en même temps, être à la fois objet et sujet, c’est rare… Mais quelle autre expérience humaine concrète est aussi forte ?