Successions dans le milieu de la danse : entre précarité et choix collectifs
En novembre, la compagnie O’Vertigo de la chorégraphe Ginette Laurin annonçait un changement de vocation pour devenir structure de soutien à différents artistes qui y créeront des oeuvres à grand déploiement. Le chorégraphe chouchou Dave St-Pierre est le premier à en bénéficier. Mais pas si vite, demande aujourd’hui un groupe de chorégraphes et danseurs qui auraient aimé un processus de consultation plus transparent auprès du milieu de la danse contemporaine montréalaise avant de réaffecter ces fonds publics.
À l’aube du départ à la retraite de plusieurs artistes québécois(es) qui ont longuement bénéficié des programmes de subvention des différents conseils des arts, une quantité de problèmes éthiques se posent quant à la fermeture ou la restructuration des compagnies subventionnées par ces instances publiques. Le milieu du théâtre québécois a vu ces questions déchirer et enflammer ses acteurs, lesquels se disputaient non seulement d’éventuelles subventions à redistribuer, mais aussi des lieux de création dédiés à des compagnies établies depuis des décennies. Le milieu de la danse, qui se retrouve aux prises avec ces épineuses questions, semble faire l’économie d’un débat approfondi à leur sujet. Ainsi, l’enjeu entourant la transformation de la compagnie O Vertigo nous est récemment parvenu sur le mode d’un consensus déconcertant.
Or, moult questions devraient être soulevées et étudiées quant à ces fins de parcours, dans le contexte de précarité financière actuelle. Devant la prolifération d’une génération d’artistes intermédiaires qui n’ont jamais accédé au financement public récurrent et la horde d’artistes émergents qui se bousculent aux portes de ce même financement, il est impératif d’aborder ces changements comme autant d’occasions de discuter collectivement de la distribution des ressources dans notre milieu. Sous les applaudissements, les émois et la surprise, le milieu semble toutefois sous hypnose et en phase de passer outre les problèmes évidents que posent ces transformations.
Mise en contexte
En novembre 2015, on apprenait la mise en branle d’un changement de mandat radical chez O Vertigo, compagnie phare de la création en danse contemporaine québécoise. « Ne pensez plus compagnie de danse. C’est une nouvelle structure, plus ouverte, plus collective et à plusieurs têtes que sera le Centre de création O Vertigo (CCOV). Dès janvier prochain [2016], la directrice artistique Ginette Laurin ne sera plus au travail qu’à temps partiel. La création ? C’est désormais un artiste invité pour une période de trois ans qui occupera le studio afin d’y créer une grande forme, qui sera le legs d’O Vertigo, bénéficiant non seulement du lieu (une boîte noire fort bien équipée techniquement, avec une possibilité d’accueil d’une centaine de spectateurs, une rareté au Québec), mais aussi de l’équipe et, donc, d’un soutien aux demandes de subvention, à la promotion, à la diffusion et à la tournée », pouvait-on lire dans Le Devoir le 11 novembre dernier.
Le 23 février 2016, on apprenait que Dave St-Pierre serait le premier artiste à bénéficier d’une résidence de trois ans au CCOV : « Ainsi, Dave St-Pierre, surtout connu pour ses œuvres grand plateau à distribution imposante (comme Un peu de tendresse bordel de merde et La pornographie des âmes) pourra se consacrer entièrement à son art pour une durée appréciable, en bénéficiant des ressources techniques et administratives du CCOV. Un luxe rarement consenti aux artistes québécois dont les structures de production imposent généralement une grande rapidité d’exécution, avec peu de moyens », publiait le VOIR .
Mettre la charrue devant le mammouth
Le projet décrit par le communiqué d’O Vertigo est à priori fort intéressant. Le comité mandaté d’orienter les activités du nouveau CCOV est composé des chorégraphes montréalaises Mélanie Demers, Catherine Gaudet et Caroline Laurin-Beaucage, des artistes dont on connait l’intelligence et la créativité. Dave St-Pierre, premier artiste en résidence du centre, semble le candidat idéal pour ce projet de résidence sur trois ans avec des moyens d’envergure.
La question ici n’est pas de discuter de la qualité des idées mises de l’avant ni des personnes impliquées dans le projet. La question n’est pas non plus de restreindre les élans artistiques d’une compagnie qui s’offre une deuxième vie ou de freiner un désir de pérennité. La question est de ramener sur la table certains enjeux primordiaux dont personne ne semble parler tandis qu’on annonce l’ouverture imminente du CCOV et le changement de mandat de l’organisme :
- Les subventions accordées aux organismes par les conseils des arts le sont sur la réalisation d’un mandat, et sur la pertinence de ce mandat, telle qu’évaluée par les comités de pairs en regard des autres projets soumis. L’enveloppe (imposante) que reçoit O Vertigo depuis des décennies est dédiée au mandat de la compagnie de danse et à ses activités.
- Que la chorégraphe ne souhaite plus poursuivre ce mandat est tout à fait légitime. Qu’elle souhaite s’engager dans un nouveau projet professionnel et léguer un héritage riche d’expertises, de ressources financières et matérielles l’est aussi. Cependant, il en va d’un processus d’octroi de fonds publics très paramétré, qui ne prévoit pas le transfert des fonds d’un mandat à un autre au sein d’une même structure, surtout pas en amont de l’évaluation des comités de pairs.
- Si l’idée et les projets associés au CCOV sont valables, de nombreuses autres avenues le seraient tout autant et pourraient être décidées collectivement par les artistes du milieu.
Peut-être que, collectivement, le milieu prioriserait une redistribution annuelle et récurrente à un plus grand nombre de créatrices et de créateurs sur le territoire, sous forme de soutien au fonctionnement et de temps de résidence partagé, puisque plusieurs d’entre eux vivent dans des conditions précaires et créent sans support récurrent d’aucune forme.
Peut-être que, collectivement, le milieu préfèrerait affilier un tel centre de création à d’autres structures de services déjà existantes pour consolider leurs ressources et soutenir ces organismes qui agissent depuis des décennies comme levier auprès des artistes.
Peut-être que, collectivement, le milieu aurait fait le même choix que le comité du CCOV, priorisant la mise sur pied d’un nouveau centre de création pour les grandes formes. Mais il est impossible d’affirmer cela hors de tout doute, n’ayant traversé aucun processus de consultation auprès des pairs.
Considérant l’état financier critique dans lequel pataugent une majorité d’artistes professionnels au Québec, un tel centre de création dédié aux grandes formes est-il au cœur de nos priorités ? Devrions-nous plutôt assurer des conditions de travail minimalement décentes pour l’ensemble des artistes avant de consacrer des montants importants à certains individus triés sur le volet ? Quelles sont les valeurs que le milieu souhaite honorer pour les décennies à venir? Le CCOV met en action son nouveau mandat en plein milieu de sa période de financement quadriennale et annonce les activités de ce son centre en utilisant des ressources financières prévues pour d’autres fins. Ce faisant, l’organisme met définitivement la charrue devant le mammouth, forçant un peu [beaucoup] la main au milieu.
Le changement de garde qui s’amorce dans le milieu artistique et qui se poursuivra pour les prochaines années constitue une occasion idéale pour repenser le commun, les ressources collectives et le financement public de la danse. Il appartient à la communauté active de se prononcer, en rassemblant autour de la table le plus grand nombre de voix. La transformation d’un milieu s’opère nécessairement à partir des désirs, valeurs et convictions de ceux et celles qui le composent.
Le rôle des conseils des arts et du Regroupement québécois de la danse
Le milieu de la danse au Québec est doté de conseils des arts au sein desquels des comités de pairs veillent au bien commun et font entendre une variété de voix. Il est donc légitime de s’étonner lorsqu’on lit dans Le Devoir du 11 novembre dernier que les conseils auraient avalisé l’annonce de cette restructuration chez O Vertigo, mais qu’ils « ne s’engagent pas davantage parce que les pairs ont leur mot à dire, comme à l’habitude », explique Ginette Laurin, qui espère que « le milieu sera sensible à ce désir de passation, et que les pairs vont l’accepter. »
Il apparaît délicat que les conseils puissent « donner leur aval » à des projets qui impliquent une telle refonte du mandat d’un organisme et nécessitent une réflexion collective sur l’octroi des fonds, sans consultation avec la communauté qu’ils représentent. Il est étonnant que la chorégraphe ait choisi de s’adresser aux conseils pour avaliser ces idées, plutôt que d’attendre la prochaine évaluation quadriennale et d’y déposer le projet sur papier, afin de recevoir l’évaluation des pairs. Si les comités de pairs ont « leur mot à dire », ne serait-il pas plus sage d’attendre leurs recommandations ? Ne serait-il pas même nécessaire d’attendre ce « mot » des personnes sur qui repose l’évaluation des organismes subventionnés ? Consultés après coup, mis devant les faits accomplis, on peut se demander quelle sera réellement la marge de manœuvre de ces comités devant un projet entrepris depuis plus d’une année, devant la pression du milieu et les engagements artistiques/financiers déjà avancés du CCOV.
Il est évident que l’absence de précédent dans cette situation épineuse crée un flou sur la marche à suivre. Le cas du CCOV nous met face à l’inconnu, mais aussi face à un besoin criant de rassemblement et de discussion transparente sur ces questions. Comme nous vivons une période de renouvellement générationnel/artistique jamais traversée auparavant, il est normal que les étapes d’un tel renouvellement ne soient pas encore clairement établies. Il semble pertinent à cet effet d’invoquer la force collective que représentent les conseils des arts et le Regroupement québécois de la danse. Peut-être est-ce à travers ces structures que doit s’orchestrer un processus de réflexion à grande échelle au Québec, auprès de toutes les personnes concernées par ce changement de garde en cette période de transition historique. À quand une démarche collective en ce sens, menée par les organismes qui nous représentent?
Historiquement, les artistes ont démontré leur savoir-être et leur savoir-faire dans l’imagination et la mise en place de projets innovants ou autogérés, de structures organisationnelles nouvelles. La question des fonds publics devrait être soumise non pas à des groupes d’experts ou à des cercles restreints, mais à l’ensemble de la communauté artistique. Au moment où l’échiquier bouge, un univers de possibles doit être saisi par ceux et celles qui sont le cœur de la création, par la communauté dans son ensemble, et non une poignée d’élu.es.
C’est pourquoi nous demandons un débat collectif au sein duquel ces enjeux capitaux pourront être réfléchis sereinement par le plus grand nombre.
Collectivement,
Priscilla Guy
Catherine Lavoie-Marcus
Michel F Côté
Magali Stoll
Aurélie Pedron
Louise Bédard
Marie Claire Forté
Sylvie Lachance
Sébastien Provencher
Stephanie Fromentin
Helen Simard
Emilie Morin
Adam Kinner
Sasha Kleinplatz
Hélène Blackburn
Sylvain Lafortune
Brice Noeser
Dominique Porte
Ce que fait Ginette aujourd’hui de O’Vertigo est exactement ce que j’avais proposé au ministère des Affaires Culturelles de faire du Groupe Nouvelle Aire en 1979. Il m’a été répondu alors que c’était une excellente idée, mais que la chose n’était pas admissible. Le «nouveau» Groupe devrait donc repartir à zéro (comprendre 0$ de subventions…)
Ce que fait Ginette désormais d’O’Vertigo est exactement de que j’avais proposé de faire du Groupe Nouvelle Aire au ministère des Affaires Culturelles du Québec en 1979. Il m’a été répondu alors que c’était une excellente idée, mais non recevable. Le Groupe devrait alors repartir à zéro… (entendre 0$ de subventions!)
Que c’est intéressant de voir le commentaire de Martine Époque car il en va de même pour Le Ballet de Québec qui est un des seuls ballets à faire travailler des gens du Québec et nous avons une convention collective UDA et nous rémunérons nos danseurs dans les règles de l’art et pourtant c’est non recevable. Nous on a été bloqué car le plat de bonbons (subventions va aux mêmes gens). C’est vraiment triste de voir cela surtout après le beau message d’Harold Rhéaume, président qui cherche pourtant des adhérants au RQD et qui se permet de refuser le seul Ballet à Québec sous la juridiction de l’UDA qui est totalement en loi avec le statut de l’artiste et première compagnie de la Ville de Québec en plus, après la Compagnie DansePartout inc. fondé par Chantal Belhumeur devenu aujourd’hui le Groupe DansePartout inc. On a eu la vie dure et cela perdure. Nous et nos organismes, on a dit ça suffit et Christiane Bélanger, l’École Christiane Bélanger-Danse/L’École du Ballet de Québec ne fera plus partie dorénavant du RQD et du Conseil de la culture à Québec-Chaudières Appalaches à cause principalement de ce rejet qui est inadmissible et qui dure depuis 1997. C’est très grave ce qui s’est fait à notre égard.