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Politicailleries et singeries

 

Ça sent tellement les élections printanières qu’aujourdhui, Jean Charest s’est senti obligé de préciser qu’il n’y aurait PAS d’élections d’ici le 20 ou le 21 avril. Question de laisser passer le Salon sur le Plan nord. ((Je vous parlais ici de ce même salon le 18 janvier dernier.)

Quant à cette élection qui s’approche de plus en plus, je vous en avais bien prévenu dans ma chronique de cette semaine: «Le compte à rebours est amorcé. Le parfum d’élections printanières est persistant. (…) la prochaine campagne sera une des plus dures des dernières décennies. Or, cette grande bataille sera livrée pour le pouvoir. Point. Amateurs de grandes visions inspirantes, s’abstenir.»

 

Au lendemain de la mise en ligne de cette chronique paraissaient par ailleurs dans Le Devoir et La Presse, deux articles portant sur le dernier ouvrage du paléoanthropologue français Pascal Picq: L’homme est-il un grand singe politique? (Pascal Picq était aussi invité chez Bazzo.TV. Un ouvrage où, justement, il est question, entre autres choses, de la forme qui prend de plus en plus le dessus en politique sur le fond et les idées.

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Sa théorie: «l’homme politique ne s’est jamais autant rapproché, dans sa pratique politicienne, du singe et plus particulièrement du chimpanzé».

Toujours extrait du Devoir, selon Pascal Picq, «la télévision, les communicateurs politiques ont changé la donne de la politique. Conséquence: pour éviter les bourdes, les politiciens n’osent plus parler. Ils sont davantage dans l’image et le comportement que dans le discours. Et, en ce sens, ils se rapprochent désormais des maîtres de la politique sans langage, c’est-à-dire les chimpanzés.»

Or, on pourrait avancer l’hypothèse qu’il existe également un certain vide dans la «pensée» de plusieurs des politiciens les plus en vue.  Ce qui expliquerait, du moins, en partie, l’inconstance des programmes, des plateformes; les «virages» sur des questions pourtant de fond; des «convictions» changeantes selon les sondages et les «groupes de discussion» utilisés par les appareils de partis; etc.

D’où cette impression montante dans l’électorat d’un manque d’authenticité flagrant dans la sphère politique…

Et lorsque Pascal Picq note que dans certaines familles de chimpanzés, «le pouvoir de ses élites dépend des «capacités des individus à constituer des coalitions et des alliances dans le but de monter dans la hiérarchie et de se maintenir dans l’exercice du pouvoir, de gagner les privilèges et d’en assumer plus ou ou moins bien les obligations morales envers ses alliés et les autres», il soulève une question très importante.

Or, dans les faits, ce phénomène est très humain, universel et intemporel. C’est la nature même du pouvoir, de sa conquête et/ou de sa rétention. Tous les grands penseurs du politique ont épilogué amplement sur le sujet, dont Machiavel lui-même.

En effet, les outils de pouvoir que sont les réseaux d’influence – dans le monde moderne, cela comprend aussi les médias –  de même que les récompenses distribuées pour services rendus, sont des pratiques qui remontent à très loin.

Tout comme le sont les pratiques inverses – celles où l’on tente d’asseoir son autorité en punissant. On parle de réglements de comptes, d’«assassinats» politique du type  non violent. Qui pour se débarrasser d’un rival encombrant, qui pour faire taire des dissidents ou des critiques dérangeants.

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Et en effet, la semaine politique qui se termine aura amplement confirmé la prédiction faite dans ma chronique. À savoir qu’en cette période pré-électorale, les slogans tiennent souvent lieu de contenu et de vision.

Avertissement: si cette tendance devait perdurer jusqu’au soir des élections – lesquelles auront probablement lieu dès ce printemps -, il serait alors à craindre qu’en réaction, le taux de participation ne continue à chuter inexorablement.

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Du côté de la CAQ…

 

Donc, revenons sur la semaine politique.

Lundi soir, dans son premier grand rallye caquiste, le chef François Legault a repris son discours du «changement».

 

En même temps, on note qu’il prend un ton de plus en plus ouvertement populiste. Ex.: il pointe de plus en plus souvent les «groupes de pression» qu’il réduit essentiellement aux «syndicats».

Des syndicats – dans le cas des enseignants et des médecins – dont il dit aussi vouloir ouvrir les conventions collectives dès son arrivée au pouvoir, si la CAQ formait le prochain gouvernement. Et ce, même si ces conventions sont signées et valides. Comme si la valeur d’un contrat devenait tout à coup relative pour M. Legault.

Ce vendredi, à RDI, le député caquiste François Bonnardel, a d’ailleurs confirmé que cela se ferait «le plus rapidement possible», dans les 100 premiers jours d’un gouvernement caquiste. Et donc, avant que ces mêmes conventions ne viennent à terme…

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La saga de Sagard

Et parlant de réseaux d’influence comme le fait si bien Pascal Picq, cette semaine, les questions ont également fusé suite à la révélation du Journal de Québec selon laquelle le grand patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Michael Sabia, avait passé une fin de semaine douillette avec sa famille dans le vaste domaine de Sagard appartenant à Paul Desmarais père.

 

Les questions portaient bien évidemment sur l’éthique du geste. Et à savoir si dans de telles occasions, une influence indûe aurait pu être ainsi exercée sur la haute direction de la CDPQ.

Depuis quelques jours, le premier ministre Charest s’est fait demander à son tour et ce, à plusieurs reprises, s’il avait séjourné, lui aussi à Sagard. Et si oui, quand, pourquoi et combien de fois?

Il a finalement répondu que oui, mais sans préciser le nombre exact de fois.

Aujourd’hui, en point de presse clôturant le caucus libéral pré-sessionnel à Victoriaville, il s’est contenté de dire que ces activités à Sagard étaient de nature «sociale» et en présence de «plusieurs centaines de personnes».

Refusant toujours de dire à combien de reprises il avait séjourné à Sagard, M. Charest en a même fait une «question de confiance».

Or, justement, en ces temps où la «confiance» envers la classe politique dans le département de l’éthique est à son plus bas, l’absence de réponses précises de sa part ne feront rien pour la renforcer.

Surtout que, étonnamment, en réponse à la question d’un journaliste quant à l’influence de la famille Desmarais sur le gouvernement, M. Charest est même allé jusqu’à déclarer que celle-ci n’avait «aucune influence particulière sur le gouvernement».

Sûrement LA citation de la semaine. Peut-être même de l’année.

Bref, le PM doit être le seul au Canada à penser que cette famille n’exerce aucune influence sur LES gouvernements, dont le sien. Que ce soit au provincial, au fédéral et même à l’étranger. Ou encore, que les grands patrons des grands empires médiatiques, quel qu’ils soient, n’auraient, eux non plus, aucune influence sur les gouvernants de ce monde… Ce serait bien là une première proprement planétaire.

À croire que dans ce monde, lorsqu’il y a rencontres privées entre chefs d’État et les grands patrons de la haute finance et/ou des médias, on y «jaserait» simplement de la température, de la sortie des derniers DVD ou encore, de techniques de pêche au saumon. Mais jamais de politique ou d’affaires… Et elle est grosse comment la poignée dans le dos des citoyens?…

À ce compte, rappelons que le 21 mars 2002, devant une Assemblée nationale où quelques mâchoires en étaient tombées par terre, le chef péquiste Bernard Landry révélait, avec fierté, en pleine période de questions, qu’il avait lui-même mangé quatre fois avec Paul Desmarais dans la seule première année où il était premier ministre. Comme quoi…

Quant à M. Charest – sachant aussi que le Commissaire au lobbyisme se penche sur le cas Sabia -, il est intéressant de noter qu’en point de presse,  il a également bien pris soin de répéter à plusieurs reprises qu’il n’avait été l’«objet» d’aucune activité de «lobbying» lors de ses rencontres avec M. Desmarais…

(*) En extra, cet article sur les Desmarais paru en 2007 dans les pages du New York Times.

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Les Bachanderies

Inaugurons aussi une nouvelle catégorie de citations politiciennes malheureusement peu enclines à relever la qualité des débats publics – les Bachanderies. En l’honneur, bien sûr, du ministe des Finances, Raymond Bachand.

Cette semaine, deux bachanderies spectaculaires à noter:

1) Suite à l’annonce de Pauline Marois promettant l’annulation de la «taxe santé» de 200$ imposée aux Québécois indépendamment de leurs revenus et l’augmentation des impôts pour les plus fortunés, le ministre des Finances s’est exclamé, sans rire, qu’elle relançait «la lutte des classes»!

Primo, on ne savait pas qu’il n’y en avait déjà plus sur cette terre… Et secundo, même si l’idée vient en effet de Québec solidaire, cela ne fait pas pour autant de la chef péquiste une grande apôtre de la gauche version QS…

2) Sur le sujet des séjours de messieurs Sabia et Charest à Sagard, M. Bachand de lancer que tout cela n’est en fait que le produit d’une «guerre des clans», cette fois-ci, entre les empires Quebecor et Gesca.

Comme si de questionner l’éthique de la situation ne tenait pas la route, en soi. (Pour une analyse nettement plus fine et plus objective de la question, voir ici l’éditorial de Bernard Descôteaux.)

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La torture selon Harper? Seulement si elle est faite par les autres…

 

Cette semaine a aussi vu le gouvernement Harper poursuivre sa croisade pour une droite de plus en plus marquée.

Cette fois-ci, il a créé «une commotion (…) en admettant qu’il a donné l’ordre à son agence d’espionnage de ne pas écarter des informations obtenues sous la torture dans des «circonstances exceptionnelles» où des «vies sont en jeu».» Source ici.

Bref, la torture, oui… Mais seulement si c’est un autre pays qui s’y livre.

Entendez-vous Lester B. Pearson se retourner dans sa tombe?

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Il était une fois trois petits singes…

Les premières données  du recensement de 2011 le confirment. Au sein de Canada, le Québec poursuit son lent processus de marginalisation démographique, linguistique et économique.

Le tout, de plus en plus, au profit de l’Ouest canadien, incluant l‘Alberta où on retrouve la fameuse «école de Calgary», le bercail politique et idéologique de Stephen Harper.

Nonobstant l’option constitutionnelle de son choix, c’est un sujet assez fondamental, merci, mais qui semble pourtant intéresser bien peu de monde dans la classe politique québécoise.

Tenez… Intéressant de noter à quel point cette dénégation de la réalité nous ramène en fait au tout début de ce billet…

 

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Cette revue de la semaine n’est évidemment pas exhaustive…

Et vous, comment avez-vous vu cette semaine très, très politique?