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Une journée étonnante…

 

Nous sommes déjà au quatrième jour consécutif de négociations très serrées entre les quatre associations et un gouvernement Charest.

Selon les leaders étudiants, ce quatrième jour serait même celui où «ça passe ou ça casse».

En dernière heure, la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne,  a déclaré que ces négociations sont maintenant «dans une impasse».

En d’autres termes, elles sont rompues. Point.

Remarquons comment la «ligne dure» est revenue au gouvernement depuis le conseil des ministres et le caucus libéral d’hier.

En réaction immédiate sur Twitter, la CLASSE a appelé à manifester ce soir, avec casseroles, dès 20h00.

De son côté, la FEUQ, le gouvernement a rompu les négos, changé d’idée et même refusé les offres à coût nul faites par les associations.

Et en point de presse, les quatre leaders étudiants ont affirmé que la ministre avait claqué la porte elle-même, qu’elle n’avait même pas «regardé» les dernières offres faites par les associations étudiantes.

Ils ont insisté fortement pour préciser que leurs offres respectaient pourtant les «paramètres» ordonnés par le gouvernement et étaient à coût nul pour les contribuables.

Surtout, ils ont été unanimes à avancer que la ministre leur aurait dit qu’elle ne pouvait plus «régler» pour des raisons politiques et de communications publiques… Bref, pour des raisons partisanes et idéologiques.

Comme quoi, son modus operandi stratégique de division adopté depuis le début de la grève – mieux connu sous le nom de «wedge politics» et  que j’analysais ici -,  semble toujours dominer au sein du gouvernement.

Or, si le premier ministre a en effet réussi à diviser l’opinion publique en la polarisant à l’extrême, les associations étudiantes, elles, sont demeurées irrévocablement unies. Une première.

Quant au blocage du gouvernement, je l’expliquais dans un billet daté du 11 mai – un blocage autant politique que partisan et idéologique -, incluant en tenant mordicus au principe néolibéral de l’»utilisateur-payeur» dans lequel s’inscrit sa hausse des frais de scolarité.  Pour le lire, c’est ici.

Pis encore, aujourd’hui, dans son point de presse, le premier ministre a carrément qualifié de «menaces» les appels à manifester et aux «casseroles»!

Ce qui, remarquez, s’inscrit parfaitement bien dans la logique répressive de sa loi 78, laquelle vise à restreindre les libertés fondamentales d’expression, d’association et de réunion pacifique…

Sans broncher, malgré le blocage qu’il entretient, malgré la mobilisation que cela décuplera et malgré son discours de «la loi et l’ordre» où il promettait aussi qu’il poserait «des gestes» pour mettre fin à ce qu’il appelle maintenant des «menaces», M. Charest a également dit espérer que «les prochaines semaines seront une période d’accalmie»…

Ai plutôt l’impression que AnarchoPanda va peut-être devoir se procurer un nouveau costume avec climatisation intégrée…

Bref, si rien ne bouge, les prochaines semaines seront chaudes…

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Pendant ce temps, les médias nous ont également offert une journée plutôt étonnante.

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Prenons seulement quelques exemples parmi d’autres:

 

 

Hier, Anonymous frappait un grand coup avec la mise en ligne d’une vidéo de deux heures. Tournée en 2008 à Sagard où la famille Desmarais recevait avec faste le gratin politico-financier du Québec, du Canada et du monde – incluant le premier ministre Charest -, le lendemain, ce jeudi matin, son quotidien phare, La Presse, y allait d’un éditorial cinglant contre le premier ministre.

Non seulement mon collègue André Pratte y appelle à des élections plutôt que de voir le premier ministre plier devant ce qu’il décrit comme «l’habituelle et habile coalition des partisans de la cryogénisation du modèle québécois: jeunes, artistes, syndicats, écologistes», il va encore plus loin en concluant que «les Québécois, au fil de neuf années d’un règne tumultueux, ont perdu toute confiance en Jean Charest et son équipe. Usé, enveloppé d’odeurs nauséabondes, ce gouvernement a de plus en plus de mal à gouverner (…)».

Bref, l’impression qui se dégage de cet éditorial aux mots, disons, sentis, est que le premier ministre serait peut-être, qui sait, en voie de perdre l’appui de la famille Desmarais.

À moins que ce ne soit simplement un avertissement… Voyant l’avortement soudain des négociations aujourd’hui par le gouvernement, on dirait bien que ce dernier l’a compris.

 

 

Au gouvernement et au PLQ, le seul fait de poser la question risque d’en déstabiliser plusieurs.

Quant aux partis d’opposition, leurs propres interrogations sur le sujet n’ont pas manqué non plus…

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Autre récolte étonnante dans les médias du jour est ce contraste saisissant entre les pages d’opinions de La Presse et du Globe and Mail.

Dans la première, on trouve un texte particulièrement colérique de l’ex-député bloquiste Yvan Loubier contre la grève étudiante. Une grève qu’il ridiculise en la qualifiant de «psychodrame à 50 cents».

Pour le lire, c’est ici.

 

Autrefois plutôt identifié à la mouvance social-démocrate, M. Loubier a, de toute évidence, opéré un virage idéologique marqué.  Ce qui, en passant, est son droit le plus absolu.

Entre autres choses, l’économiste et conseiller en relations publiques y caricature le mouvement des «casseroles». Il prétend aussi que dans la presse internationale, la grève ternit la réputation du Québec alors que, dans les faits, plusieurs reportages et analyses y sont plutôt favorables au mouvement. En conclusion, il décrit même la situation actuelle comme étant celle d’un véritable «chaos».

En même temps, dans la page d’opinions du Globe and Mail, on retrouve un texte tout à fait aux antipodes.

 

 

(Notons toutefois que la position éditoriale du Globe, de même que celle de ses propres chroniqueurs, est au contraire particulièrement dure envers le mouvement étudiant québécois.)

Signé par deux auteurs anglophones, respectivement de l’Université McGill et de Princeton, ce texte d’opinion présente  le mouvement des casseroles dans sa perspective historique et sociologique, soit celle du «charivari» – une longue et vieille tradition de manifestation pacifique.

Par conséquent, insistent les auteurs, contrairement à certaines faussetés et quelques préjugés véhiculés sur le sujet dans plusieurs médias anglo-canadiens, ces «casseroles» ont clairement un effet pacifiant sur les manifs tout en permettant d’élargir les manifs aux familles.

(Dans Le Devoir de mercredi, mon collègue Jean-François Nadeau en signait une excellente analyse historique encore plus détaillée.)

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Comme quoi, dans ce conflit social majeur, on aura vu et lu de tout.

Du pire au meilleur…