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À chacun ses béquilles

À chacun ses handicaps et à chacun ses béquilles. Pour ma part, ma naïveté et mon égocentrisme sont probablement dus à un élevage parental hyper-affectueux: un père qui a tout sacrifié pour le confort de ses enfants, et une mère-poule (voir juive) à l’écoute constante de ses cinq bébés gâtés. Résultat: une conception du monde centrée sur l’illusion de ma propre importance et sur la foi aveugle en la bienveillance des autres.

Cela prendra mille déceptions pour altérer mon regard du monde, mais celui-ci sera façonné surtout par mes lectures tardives. Outre mes lectures scolaires obligatoires (qui, dans une école juive, se résumaient à une série de romans se déroulant pendant l’holocauste), j’ai très rarement lu par plaisir: mis à part les romans d’Amélie Nothomb et de Chuck Palahniuk, mon activité littéraire se faisait plutôt rare.

J’ai toujours utilisé les livres pour essayer de mieux comprendre le monde: lorsque ma conception quasi-sioniste du conflit israélo-palestinien était confrontée aux visions plutôt pro-palestiniennes de mes camarades abitibiens, je me réfugiai dans des lectures sur le sujet pour mieux comprendre. Tandis que j’avais réellement commencé à lire dans le seul but de mieux converser avec les universitaires montréalaises que je côtoyais, j’entamai avec un enthousiasme maladif la lecture de The Game, de Neil Strauss, pour mieux y comprendre le jeu de la séduction, et appliquer par la suite ses règles efficaces bien que sexistes.

Quand j’ai senti que ma compréhension du monde ne se satisfaisait plus d’un certain héritage religieux, j’ai lu The God Delusion, de Richard Dawkins, ainsi que le Traité d’Athéologie de Michel Onfray, philosophe français que j’ai dévoré par la suite.

Lorsque j’ai appris cet été que j’animais une émission de télévision axée sur le cinéma, je ne me fiais pas seulement sur mon éducation cégepienne en cinéma et communication ni sur mes connaissances existantes; j’ai rasé les librairies montréalaises pour m’y procurer les écrits les plus pertinents sur le septième art.

Ma lecture tardive des 48 Laws of Power m’a fait comprendre, bien que trop tard, à quel point j’appliquais à l’inverse à peu près tous les règlements supposés me donner une certaine marge de manoeuvre autant dans mon milieu de travail que dans ma vie sociale. Dans le but de comprendre La Ville Reine, métropole dans laquelle j’ai travaillé et (presque) vécu pendant huit mois, j’ai acheté Some Great Idea, suite aux conseils placardés sur la TTC. J’ai mieux saisi Toronto en 170 pages qu’en 170 jours.

Mes bibliothèques sont mes béquilles. Mes livres sont les pilules que j’avale pour affronter le monde et faire semblant que je le saisis presque de temps en temps. Comme certains comprendront la vie grâce à des albums de musique, comme certains ponctueront leur récit personnel avec l’évolution de Bergman ou Scorsese, je m’accroche aux cous de Philip Roth, Dany Laferrière, Kurt Vonnegut, Frederic Beigbeder et Charles Bukowski pour traverser la vie. Je n’ai pas choisi mon handicap. Et je n’ai pas choisi la nature de mes béquilles. Mais bon, si c’est l’odeur du café de Da qui nourrit un Vieux Os fatigué, ce sont les mots de Laferrière et Houellebecq qui musclent mon esprit.

Je vois la vie en mots. Au plaisir d’échanger avec vous,

 

Hannibal Lecteur.