Ce qui m’attend: Barney Panofsky, vieux dandy atteint d’Alzheimer, est finalement pris en charge par les trois femmes de sa vie qui s’effondrent entre elles lors d’un moment à l’écart de cet autrefois grand homme, incapables de maintenir le sourire face à l’état dégradant de Panofsky. Barney’s Version est en fait une construction géniale qui mène à cet épilogue, d’une tristesse infinie.
Et d’un autre coté, le vieil écrivain Nathan Zuckerman, autrefois jeune apprenti, et auteur à succès, et ermite volontaire, et surtout témoin privilégié de l’évolution de l’Amérique, finit dans une chambre d’hôtel, assis dans sa couche souillée, face au fantasme inassouvi de sa jeunesse, elle aussi perdue dans les méandres de la cruelle vieillesse. Exit Ghost, c’est le terrible contrepoids de Zuckerman Unbound.
Me réserve-t-on le même sort que ces personnages de Philip Roth et Mordecai Richler?
J’ai vieilli le jour où j’ai demandé conseil à mon père, et que je l’ai suivi. J’ai vieilli le jour où un souvenir m’a frappé, vieux de quelques décennies.
J’ai vieilli sans sagesse, en espérant que celle-ci me frappe, comme un cheveu blanc, comme un essoufflement dans un course, comme une énième déception à laquelle je m’habitue trop.
Ce qui me précède: “I have finished To Kill a Mockingbird. It is now my favorite book of all time, but then again, I awlays think that until I read another book”. Extrait de The Perks of Being a Wallflower de Stephen Chbosky. J’ai toujours un faible pour les romans initiatiques narrés par un très jeune personnage. Plus que tout, c’est la naïveté sincère de ces personnages qui me frappe. Elle me rappelle que les bonheurs et les succès de ma jeunesse n’étaient surtout que naïveté: soit je ne comprenais pas réellement le monde autour de moi, soit on me cachait la vérité, au nom de ma jeunesse.
C’est La vie devant soi de Romain Gary, c’est l‘Élégance du hérisson de Muriel Barbery ou bien C’est pas moi, je le jure, de Bruno Hébert. C’est comme un triste soupir causé par la compréhension rétroactive d’un pan entier de son existence.
J’ai vieilli sans fanfare et sans applaudissement, la banalité du quotidien envahissant tranquillement tous mes rêves, telle une armée sure d’elle-même face à un ennemi essoufflé.
J’ai vieilli en réalisant que ma vie est composée de tant de choix impertinents qui ont laissé derrière eux des conséquences insignifiantes.
J’ai vieilli comme je marche lorsqu’il fait trop froid. La tête basse, le pas rapide.
Ce que je vis: j’ai l’impression d’être dans Un petit pas pour l’homme de Stéphane Dompierre ou bien Pour de vrai de François Avard: ces romans québécois peuplés de jeunes hommes à qui il manque quelque chose de fondamental pour être un homme…des couilles peut-être, du courage aussi, probablement la capacité d’aimer. Ces romans de crise de la quarantaine avancée qui donnent l’impression de stagner, mais de trop bouger en même temps.
Je n’ai que 27 ans, je sais. Autour de moi, des milliers de jolies filles portent des robes estivales d’une légèreté vertigineuse. Mais j’ai toujours peur de me transformer tranquillement en Nathan Zuckerman ou Barney Panofsky. Si la destination est la même, j’espère au moins que les parcours se ressembleront.
Encore un peu et vous seriez là à nous faire le bilan d’une longue vie, qui se serait écoulée au fil de plusieurs décennies bourrées d’expériences les plus diverses, Monsieur Elfassi…
Mais, à 27 ans à peine, pas de quoi s’affoler hum?
Mettre la charrue devant les bœufs ne peut avoir pour résultat que de creuser des ornières d’où il deviendra vite bien difficile de s’extirper. Ne soyez donc pas un vieux schnook avant l’heure. Et encore moins un jeune schnook. Pour ma part, malgré que je sois de plain-pied dans la soixantaine déjà, j’essaie – quand j’y pense – de ne pas trop me comporter en schnook.
Pas toujours facile car je commence à en perdre des bouts… j’oublie parfois. Pas des trucs vraiment importants. Pas systématiquement. Mais le schnookisme s’installe insidieusement… (Un peu comme cette «aile de l’Imbécilité» que le poète Charles Baudelaire sentit un jour planer au-dessus de lui – réf. Correspondances de Baudelaire chez La Pléiade – et qui l’amena à la fin à ne plus proférer que «crénom» à répétition en guise de communication avec le monde extérieur.)
Bref, il est préférable de ne pas être vieux avant l’âge. Et encore… Car même vieux, vaut mieux garder son esprit jeune. Ce que Bob Dylan a d’ailleurs si bien exprimé dans sa chanson «My Back Pages» se trouvant sur son album de 1964 intitulé «Another Side of Bob Dylan». Et dont la formation The Byrds a fait une superbe interprétation sortie en 1967 sur l’album «Younger than Yesterday».
Et que raconte cette chanson «My Back Pages»? Cet extrait l’exprime bien: «Ah, but I was so much older then / I’m younger than that now».
Vous vieillirez bien assez vite. Avant d’arriver proche du terminus, il faut vivre. Et continuellement veiller à rajeunir son esprit, à défaut de pouvoir empêcher le reste de graduellement dépérir…