Je ne lis plus.
En banlieue de Helsinki, une jeune famille mène Anna et moi à une petite plage dans ce pays des mille lacs. Je reste en maillot de bain sur le sable, à coté de la mère. Le père, juste devant nous, surveille ses fils nus qui déambulent dans le sable et l’eau.
En bikini, Anna me dit de la regarder rentrer dans l’eau. Mesurer sa réaction pourra me permettre de voir si je veux plonger dans l’eau à 18 degrés. Je resterais sur le sable.
J’ai terminé la lecture de Cosmopolis sur les escaliers de l’Église blanche et depuis, incapable de lire. À coté de moi, la mère, une brunette à la voix douce, me parle.
« Avant ce n’était pas une plage publique. La couleur est due à la boue. Mais ils ont ajouté une couveture sur laquelle ils ont mis du sable ».
Deux mètres à ma droite: un homme pale, bedonnant, porte un maillot bleu serré qui remonte jusqu’à son nombril et qui dévoile la forme exacte de ses testicules pendantes. Il plongera la tête dans l’entre-jambe d’une de ses deux amies. L’autre, allongée sur le coté, se touche les seins en regardant son téléphone. Y a-t-il quelqu’un à l’autre bout du sans-fil?
J’ai commencé The Great American Novel de Philip Roth mais j’ai arrêté après deux pages. J’ai commencé Atlas Shrugged d’Ayn Rand mais j’ai à peine tourné la première page.
« Ils ajoutent le sable et tout ça en hiver, c’est plus simple que de le mettre dans l’eau l’été. Quand ça fond, ça descend. »
Dix mètres à notre gauche, un couple arrive. Eti, la mère qui me parle, m’apprendra qu’ils sont russes. Il est grand, chauve, musclé et tattoué. En Amérique ce ne serait qu’une apparence, aucunement symbolique. Dans cette vieille Europe je me demande qui est cet homme. La femme est en silicone et bronzée. Du coin de l’oeil j’attendrai qu’elle enlève sa jupe rose serrée pour rapidement rentrer dans l’eau. J’ai quand même peur de la regarder à cause du copain.
J’ai même acheté un livre de poèmes finlandais. Rien. À Montréal on discute des compliments avec Judith Lussier tandis que les filles portent des fleurs à Osheaga.
Les garçons ne veulent pas partir. Avant de rentrer dans la voiture, Anna, que j’ai rencontré il y a trois ans dans un train entre Londres et Penryn, me demande si je veux des enfants, un jour. Comme sur commande, le plus vieux commence à crier tandis que le plus jeune hurle (nuance), malheureux de quitter la plage. Eti rentre dans le coffre pour ce court trajet pendant lequel le père me parlera de la politique d’armes à feu aux États-Unis. Je n’ai pas besoin de répondre à Anna.
Je devrai quitter Anna et la jeune famille malgré les promesses de bière, de sauna et de blagues cochonnes du père. Je dois prendre des photos d’une série de concerts à Kallio avant de rejoindre ma chambre d’hôtel. Mon travail consiste à capter le bonheur et prouver qu’il est possible en Finlande.
J’ai visité un ancien fort militaire sur une île avec deux Australiens. J’ai photographié mille blondes. J’ai pris des trains aux indications mystérieuses pour moi. Mais je n’ai pas lu, et, pour ça, une partie de moi ne se reconnaît pas.
Je quitte Helsinki la blonde pour Tampere. J’écris ceci dans le train et je pense à vous.