Le tout s’est joué un peu comme un film hollywoodien, enfin, comme une histoire souffrant d’une mise en scène parfois douteuse. Comme certains détesteront un film de Michael Bay avant sa sortie, la Charte des valeurs québécoises ne révélait pas beaucoup de mystère. Sur le fond, ses détracteurs et ses défenseurs étaient déjà armés : il suffisait de recycler sa chronique en ajoutant des références aux pauvres effets visuels des personnages secondaires (extraterrestres sans visages portant kippas, kirpans et voiles) et remettre en question la présence d’un personnage qui, encore une fois, devenait l’agneau sacrificiel de nos principes personnels : Jésus.
En soi, le dévoilement de la Charte n’avait pas d’intention légale à proprement parler. Il suffisait tout simplement d’une mise en scène filmée respectant les codes de communications gouvernementales. Nous reprenons le pouvoir d’une province que nous sommes en train de perdre aux étrangers intégristes qui menacent même notre destin national. La souveraineté de notre province comme fin souhaitée. Des codes vestimentaires stricts comme moyens loufoques d’accéder à cette souveraineté.
Pour revenir à Jésus, ce qui est étrange, c’est qu’il s’est intégré dans nos discours politiques et médiatiques un peu à la façon des Américains : on le nomme, on le montre, on le mentionne sans que ses principes, ses dires ou sa philosophie n’aient de réel rapport avec le débat actuel.
Quand les détracteurs de la charte attaquent la présence du crucifix à l’Assemblée, sont-ils réellement frustrés par la présence du Christ? Ou souhaitent-ils trouver une faille évidente à une approche d’assimilation tout à fait maladroite? Quand les défenseurs de la Charte remarquent que sa présence est historiquement justifiable, pensent-ils réellement à la présence de Jésus à l’Assemblée? Ou défendent-ils en bloc un projet imparfait avec lequel ils sont fondamentalement d’accord? Les membres du FEMEN qui entrent seins nus à l’Assemblée en scandant « Crucifix, décaliss », sont-elles réellement inquiètes de l’effet dévastateur du messie sur la création de lois? Ou manifestent-elles plus largement contre une société patriarcale et antiféministe?
Ensemble, nous avons placé Jésus au centre de notre pièce de théâtre absurde, et comme une œuvre d’art abstraite nous avons placé sur ce symbole religieux la signification que nous souhaitons lui accorder. Nous formons Dieu à notre image : présence religieuse à éliminer, héritage historique, relique du patriarcat à défaire. Le Christ a le dos large, réincarné ici dans un débat qui ne lui appartient pas, à propos d’une société qui se cherche encore, et dont les principes fondamentaux sont en constante redéfinition (comme toute société le fait, mais à des vitesses variables) : l’intégration des immigrants, le rapport au corps féminin, la neutralité de l’État, etc.
Bien qu’un débat social soit toujours sain à mon avis, il serait peut-être temps d’engager de nouveaux metteurs en scène ainsi que quelques scripteurs. Parce que la prémisse est acceptable, mais la scénarisation et la réalisation manquent visiblement de vraisemblance. Et pas juste dans le cadre de ce débat actuel entourant la Charte. Suis-je le seul à trouver que notre paysage politique et médiatique est particulièrement absurde depuis quelques mois? Une période d’accalmie n’aura jamais été aussi houleuse.