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Ode aux Obies

Vous me parodnnerez ma réaction tardive à un débat linguistique depuis longtemps refroidi. Dead Obies vs. MBC. 

Jouons ensemble un peu.

Je dis ceci sans condescendance, plutôt avec le plaisir authentique d’un individu trop enthousiaste à qui on donne un prétexte parfait pour jouer avec des joujous qu’il aime bien.

Tout récemment, Mathieu Bock-Coté a traité les Dead Obies, comme ses admirateurs, de colons raffinés obsédés par une époque nouvelle, nous avertissant sagement (désolé pour cette ironie grossière et évidente) des dangers potentiels d’une obsession malsaine avec la nouveauté.

Ce qui est magnifique, c’est qu’on peut finalement s’éloigner d’un terrain trop parfaitement maîtrisé par Mathieu Bock-Coté, c’est-à-dire l’argumentaire social conservateur appuyé d’une rare érudition historique égalée uniquement par le caractère sévèrement limitatif de sa conception de l’Histoire.

Je n’irai jamais dans l’arène pour discuter avec Mathieu Bock-Coté de Lucien Bouchard ou de Charles de Gaulle ou de Pierre-Elliot Trudeau. Mais ce qui est intéressant c’est que la lecture occasionnelle de ses textes de plus en plus similaires contribue à la lecture critique de la situation actuelle avec les Dead Obies.

Et ça, c’est magnifique. Les Dead Obies sont propulsés à l’avant-plan d’un débat politico-culturel, qui est beaucoup plus idéologique que politique en fait, plus identitaire que culturel. On les présente comme les assimilateurs, des faux prophètes érigeant une langue « Cool » dont la principale fonction est de nous éloigner de la nôtre, de nous éloigner d’une langue dont toutes les marques d’évolution ont arrêté vers la période de la révolution tranquille.

L’évolution de la langue française, du moins la langue utilisée dans les albums des Dead Obies (qu’il faut écouter) marque un progrès, elle nous éloigne de la conception pessimiste et victimisante d’une langue riche ayant servi à dénoncer nos anciens oppresseurs et se comprendre entre nous autres.

La langue peut servir à bien des choses. Chaque mot qu’elle écrit peut servir à construire une prison détaillée et précise, aux multiples corridors qui nous permettent d’oublier que les quelques rares chambres sont froides, et vides, et qu’elles sentent le renfermé.

Ou bien, la langue peut servir de pont. Elle peut être une passerelle entre différentes générations. Elle peut s’inculquer de créole et d’anglais parce que ses images sont ambitieuses et que les châteaux qu’on veut créer sont composées de cette richesse, ils n’en sont pas contraints. La langue des Dead Obies, c’est ça. Elle s’inscrit dans un héritage riche. Elle est contemporaine à des Chance the Rapper et Schoolboy Q et Kendrick Lamar et Odd Future. Elle est héritière, fort probablement, de Biggie et Tupac et Run DMC. Elle considère probablement importantes les contributions de MF Doom et J Dilla. Elle est la contemporaine des artistes québécois comme Koriass et Alaclair Ensemble et Loud Lary Ajust, qui créent en ce moment du rap de calibre international.

Ne pas connaître cette culture, ce n’est pas grave. Chaque domaine apporte son lot de spécialisations, les branches infinies d’un arbre riche et complexe. Mais il est facile de nier en bloc l’importance d’un phénomène quand on ne le maîtrise pas parfaitement. Il est facile de rejeter une modernité en croyant que celle-ci est un rejet de nos principes, tandis qu’on n’est pas dans le coup, cette modernité, cette culture, cette musique des Dead Obies, se fait en dehors d’une conception identitaire complexée de la vie. Elle est consciente de soi. Elle n’est pas colonisée, elle défriche des terrains. Elle est raffinée, mais d’une finesse étrangère à Mathieu Bock-Coté.

Dans cette situation spécifique, Mathieu Bock-Coté se range du coté de ceux qui se sont plaint des Beatles et de Elvis et de KISS parce que dans leurs cheveux et leurs déhanchements et leurs maquillages, ils niaient le message. Ils voyaient seulement leur propre absence. Ils ne voyaient pas toute la beauté que ça créait.

Qui sait, les aventures musicales de Denis Lévesque seront peut-être suffisamment grammaticalement impeccables pour plaire à l’esthétisme rigoureux de Mathieu Bock-Coté. Peut-être utilisera-t-il une version suffisamment convenue et récurrente de notre conception de nous-même, que, même jusque dans les paroles de ses chansons, il réconfortera des identitaires dans le choix qu’ils ont fait, de rejeter un ennemi si longtemps qu’ils ne reconnaissent pas le nouvel allié improbable.

Je plains ceux qui applaudissent nos artistes parce qu’ils sont potentiellement utiles à notre projet politique. Autant se crever les tympans tout de suite.

Il n’est pas question de colonialisme ici, ni d’un attachement insuffisant à la langue. Il est question de certains gens qui voient de la pauvreté tout simplement parce qu’ils ne savent pas reconnaître la monnaie qui circule autour d’eux.

La langue n’est pas menacée. Si Mathieu Bock-Coté veut connaître l’état de la langue française dans la chanson québécoise, il n’a qu’à écouter une chanson de Kevin Parent qui en fait le catalogue détaillé. Dans ce monde là, riche et beau en ce moment, les Dead Obies sont une exception, jolie, essentielle, nécessaire.

Word.