Je me qualifierai, je l’espère sans trop d’arrogance, de lecteur assidu. Depuis la découverte de cette activité enivrante il y a de cela une décennie, tandis que je poursuivais des études relativement futiles sinon socialement enrichissantes en journalisme, il ne se passe pas vraiment un jour sans qu’un livre se retrouve entre mes mains ou dans un sac que je traîne avec moi.
Le but initial de cette lecture assidue était de faciliter la communication avec une gent féminine érudite retrouvée entre les murs de l’Université, rapidement ça s’est transformé en plaisir esthétique relativement pur, mêlé à la vertigineuse conception d’un monde complexe pour lequel chaque livre est un morceau d’un énorme puzzle qui a cette qualité étrange de s’arrimer parfaitement avec tous les autres morceaux. En me perdant dans une quête relativement superficielle, je suis tombé sur une quête plus significative.
Je suis en train de terminer la lecture d’une brique. Quand un livre contient plus de 300 pages, il devient un investissement plutôt qu’un divertissement; on a, face à nous, une bête qu’il faudra dompter, et qui ne sera pas consommée avec la même légèreté que ces produits faits sur mesure pour être lus distraitement dans le métro ou devant une plage ensoleillée. Creation, de Gore Vidal, raconte les voyages de Cyrus Spatima en l’an 400 av. J.C, tandis que cet ami de Xerxes voyage partout dans le monde, rencontrant et discutant avec Pythagore, Socrate, Confucius et Bouddha.
Si je me permets de parler de ce livre, c’est parce qu’il confirme avec élégance une anecdote racontée par une amie, récemment, tandis qu’on discutait sur un banc de parc. Elle m’a raconté avoir assisté à une sorte de rencontre bouddhiste où des grands maîtres penseurs se réunissent après une ou deux années de réflexion profonde. Chacun vient dans une salle raconter la vérité qu’il a finalement déduite de la vie. Le but de cet exercice est que chacun présent déconstruise rigoureusement la conception de l’autre, le tout dans le rire et le bonheur.
Cette anecdote m’a profondément bouleversé. La vérité ne se trouve pas nécessairement dans les paroles des sages qui assistent à ces rencontres philosophiques et ludiques, mais elles se retrouvent dans le processus. En illustrant que chaque vérité fondamentale peut être déconstruite et, par rigueur intellectuelle, abandonnée, on illustre savamment qu’il n’existe pas de vérité réelle, que chaque conception de la vie est personnelle et imparfaite.
Dans ses voyages, Cyrus Spatima rencontre des grands sages dont les doctrines continuent d’habiter certains intellectuels de notre monde actuel, et chacun d’entre eux est relativement convaincu du caractère éronné de la pensée de l’autre. L’autre étant cet étranger avec lequel ils deviennent un peu familiers grâce au pont philosophique que représente ce voyageur perse. Faire le tour du monde pour réaliser qu’il n’existe que des sages potentiellement compatibles qui se voient toutes comme des rivales.
Je viens de terminer le mois le plus stimulant de l’année la plus stimulante de ma courte existence. En ayant eu accès à des festivals comme Fantasia, Just for Laughs et Zoofest, j’ai eu droit à l’exposition articulée d’idées intéressantes et nouvelles. Coup de coeur énorme pour le jeune génie de Fred Dubé, mais plaisir continu quant à la découverte d’un Aziz Ansari sincère et touchant, d’un Lewis Black vieillissant mais encore fougueux, d’un Marc Maron merveilleusement angoissé, d’un Adib Alkhalidey brillant et charismatique, d’un faux-documentaire scientifique rigoureusement angoissant, d’un film d’horreur cannibale présenté avec l’indélibile sourire en coin d’Eli Roth comme signature tangible dans la pellicule, d’un Nick Offerman solide comme un roc et entouré de jeunes humoristes brillants, bref, d’un mois fatiguant de génie et de vérités contradictoires qui, somme toute, se consolident, comme les morceaux uniques et universellement compatibles d’un puzzle sans fin.
La vie est parfois bien faite. Après cette discussion éclairante sur la rencontre bouddhiste qui servait à déconstruire les convictions les plus profondes des sages les plus éminents, j’ai ouvert un lien YouTube envoyée par mon frère quelques jours plus tôt, comme un trésor ou un cadeau qui trouve une valeur additionnelle quand il est découvert au bon moment.
Jerry Seinfled la superstar d’humour d’observation qui a dominé les années 90 avec un sictom à son nom, Ricky Gervais qui nous a donné The Office et qui présente une voix très crue sur le web, Chris Rock qui est entré incontestablement dans les pionniers non pas de l’humour noir américain, mais de l’humour tout court, et Louis CK, dont les vérités attendrissent régulièrement les coeurs des gens les plus cyniques d’habitude allergiques au stand-up. Ces quatre géants se rencontrent et discutent de l’humour.
Chacun a une conception radicalement différente de l’approche du métier. De la conception du succès. De la notion de ce qui est drôle. Chacun arrive avec une carrière magnifique et incroyable derrière eux. Et chacun, point par point, détruit les conceptions de l’autre, dans le rire et l’hilarité, et le partage. La seule conclusion de cette magnifique vidéo? Il existe autant de conceptions pertinentes du succès que de gens qui connaissent le succès. Aucun parcours n’est similaire. Ce qui fonctionne pour l’un, ne fonctionne pas du tout pour l’autre.
La rencontre bouddhiste, dont mon amie me parlait sur un banc de parc, je suis pas mal sûr que ça ressemblait à ça.