Je suis peut-être irrationnellement irrité par la récente initiative « Achète un livre québécois » probablement à cause de son caractère un peu trop humble. J’aime lire, donc quand je transpose la nature de l’initiative à d’autres phénomènes culturels, ça me semble absurde: La journée pour aller voir un show d’humour québécois. Le jour de l’écoute d’une chanson québécoise. Film québécois: la journée. Le dernier semble plutôt tristement approprié, en fait. Mais bon, plutôt que de continuer d’expliquer pourquoi la formulation spécifique de cette journée m’a embêté (c’était hier, le temps passe si vite), moi je vous dis, tant qu’à être dans une librairie qui présente des livres québécois, voici 5 suggestions à ajouter à votre panier.
1. L’Énigme du retour. Ce livre apparaît dans trop de mes palmarès personnels. Meilleur livre de Dany Laferrière à mon avis, un des 5 meilleurs lus de ma vie, il s’agit pour moi de la meilleure lecture québécoise dans mon expérience littéraire personnelle. Quelques années avant son entrée à l’Académie, Dany Laferrière est déjà au sommet de sa forme, racontant dans ce récit la mort d’un père à qui il n’a parlé qu’à travers une chambre d’hôtel fermée, lui dans le corridor, le père exilé derrière la porte à jamais. À l’heure de ses funérailles, Laferrière fait un retour en Haïti, endroit qui nous a donné Da, sa grand-mère qui sirotait du café sur la porche pendant des années, et cette fois-ci on rencontre un neveu à l’ambition qui lui brûle au ventre. Ce roman est un mélange des styles de « Chroniques de la dérive douce » et « L’odeur du café » de ce même magnifique auteur. La confirmation du géant génie de Laferrière.
2. Putain. Nelly Arcan est probablement l’auteure la plus controversée de mon entourage, c’est à dire que certains se sentent trop affectés par sa littérature, trop brûlés à vifs par la vive intensité de cette femme à la plume ravageuse, honnête et pessimiste. À lire au même titre que Folle, Putain se distingue pourtant de ses oeuvres tardives, dans lesquelles on voit surtout un rapport malsain avec la mère (Paradis clés en main) ou avec les autres femmes (À ciel ouvert). Si ces rapports malsains sont effectivement abordés en profondeur, c’est surtout une lutte interne, ravageuse, qui habite chaque mot de ce livre aux phrases interminables et aux idées noires merveilleusement articulées.
3. Une belle mort. Gil Courtemanche, avec une plume incisive et humaniste, est toujours capable de présenter le pire de l’humanité avec brio et tendresse (« Un dimanche à la piscine à Kigali », « Le monde, le lézard et moi »), et dans cet ouvrage intime qui aborde le vieillissement douloureux de parents ainés au sein d’une famille d’adultes que tout sépare, Courtemanche y va avec un excès de tendresse et de beauté pour décrire un monde si douloureux et une époque si finale. La crise que traverse la famille face à l’approche inévitable et de plus en plus souhaitable de la mort de la figure paternelle est déchirante d’universalité, et les conflits inévitables entre frère et soeurs démontre comment une famille peut se déchirer tranquillement, jusqu’à devenir méconnaissable. Un grand livre d’un de nos plus brillants auteurs.
4. Petit cours d’auto-défense intellectuelle. Le génie de ce livre est probablement dans son titre: en étant parfaitement honnête et révélateur du contenu entre les deux pages couvertures, l’auteur utilise une technique de moins en moins utilisée dans les médiums qu’il dénonce: la transparence. Grâce à des petites leçons qui servent surtout de guide pour repérer les sophismes et les malhonnêtetés intellectuelles retrouvés dans les médias médiocres et les communications politiques propagandistes de nature manipulatrices, on se forge rapidement un esprit critique face aux propositions qui nous sont constamment présentées dans ce bombardement infatigable de demi-vérités, d’informations non vérifiées et de propagande totalement mensongère. Ce livre sert autant de bouclier contre la malhonnêteté intellectuelle mais peut aussi servir de refuge pour quiconque veut se construire les bases d’une pensée critique et rationnelle.
5. Pomme S. Je dois l’avouer, ce troisième tome dans la trilogie américaine d’Éric Plamondon n’a pas encore pris sa place dans le panthéon des livres québécois importants. Mais plutôt que d’ajouter un « C’est pas moi, je le jure » ou un « Chercher le vent » qui pourrait peut-être se tailler une place dans ce palmarès totalement subjectif, Pomme S a le mérite d’être entièrement de notre époque: portrait intéressant de l’évolution de la robotique, de l’ordinateur personnel, et du personnage fictif qu’on retrouve dans la trilogie de Plamondon, Pomme S nous prouve que Plamondon fait partie des auteurs québécois contemporains à suivre, aux cotés de Samuel Archibald, Alexandre Soublière et à peu près tous les auteurs du Quartanier. C’est une belle lecture, rapide, qui mérite qu’une main voyageuse l’extirpe de son rayon actuel dans une librairie pour la poser devant des yeux. À lire.
C’est effectivement et inévitablement une liste incomplète. Considérant que le web est ce que c’est, je me permettrai d’ajouter quelques titres dans les prochaines journées, même si la durée de vie de ce billet de blogue (environ 13 secondes) ne permettra pas de visite additionnelle chez ses premiers lecteurs. Mais par souci de rigueur intellectuelle et parce que c’est mon blogue, je me permettrais d’ajouter quelques titres dans les jours qui suivent.