Contrairement à l’auditeur préalablement informé, le chef de la sécurité de l’hôtel de Las Vegas est absolument inconscient de sa mort imminente, tandis qu’il parle à un assassin en quête de sang prétendant être un agent du FBI. Cette scène de Smokin’ Aces est d’une terrifiante ironie. Devant l’imposteur mortel, le chef de la sécurité (interprété par Matthew Fox, aka Jack dans Lost) explique tout ce qu’il faut pour que ce mercenaire se rende à sa cible, allant même jusqu’à raconter l’étendue de sa surveillance de l’hôtel, grâce à ces caméras qui lui permettent de tout voir, en tout temps. Tout, sauf la mort, devant ses yeux.
Il est tristement trop tard lorsqu’il commence à se rendre compte que tout ne tourne pas rond, puisque Acosta (Nestor Carbonell) le poignarde chirurgicalement, plongeant immédiatement sa victime dans un état de semi-conscience éclairée; conscient de sa mort imminente, mais comme empoisonné par un venin paralysant, la victime, morte en réalité depuis plusieurs minutes, se fait guider vers la pénombre par son bourreau. Il se laisse aller vers le sol, tandis qu’Acosta le somme de fermer les yeux. « Ne laisse pas ce visage être la dernière chose que tu vois », lui dit-il, avant de continuer en espagnol, « parce que le paradis pourrait t’en tenir rigueur. »
Si la scène me bouleverse tant, c’est qu’elle illustre notre profonde vulnérabilité face à la mort et l’injustice: bien qu’éveillé, bien que discutant, le chef de la sécurité était bel et bien enterré depuis belle lurette, comme les personnages principaux du classique Halloween que j’ai récemment regardé suite aux conseils répétés de mon beau-frère, un cinéphile d’une incroyable érudition. Si le film est si marquant, c’est que le caractère prédateur de Jason Michael Myers (pardonnez l’hérésie), dont on n’apprend que quelques bribes au passage, se traduit également dans le traitement cinématographique. Ses victimes se font du popcorn, rient, baisent, regardent la télé, sous le regard malveillant d’un Jason calme et posé dans sa folie meurtrière, et sous l’œil complice du travail de réalisation de Carpenter, dont la lentille nous transforme en témoins impuissants et voyeurs de ces morts décidées longuement d’avance.
Ça m’a étrangement fait penser à Titanic qui, à mon avis, est mille fois plus obscène que Halloween, puisqu’il semble accorder une noble mission à la glorieuse marche vers la mort des personnages qui, bien qu’ils sont tous destinés à périr dès les premières images de ce succès international, sont voués à apprendre les mérites éternels et mystérieux de l’amour. Halloween a le mérite d’être honnête dans sa malveillance envers ses personnages. La marche vers la mort de James Cameron est décorée de confettis, mûe par le sadisme non-assumé de James Cameron que John Carpenter a pleinement accepté pour créer un chef d’oeuvre intemporel.
La récurrence ici, j’imagine, est le caractère profondément aléatoire du destin, aléatoire en ce sens que la fin tragique peut être repoussée mais elle sera éternellement inévitable. Dans une des scènes les plus remarquables de No Country for Old Men, un de mes films préférés, Anton Chigurh (hypnotisant Javier Bardem en ange de la mort) somme un vieux caissier de petit dépanneur perdu à choisir pile ou face dans ce jeu macabre et cruel auquel il s’adonne avec ses potentielles victimes. Le vieux routier, conscient du danger dans lequel il se trouve mais incapable de trouver un autre moyen de s’en sortir, choisira miraculeusement le bon coté de la médaille, et aura droit de vivre, après le départ maîtrisé de ce meurtrier en série qui quitte le magasin général avec ce qu’on imagine être la même humeur que s’il avait injustement tué le pauvre homme. Le soupir de soulagement est évidemment partagé par le spectateur, grâce à la tension innommable créée par les frère Cohen.
On a récemment appris, cette semaine en fait, que notre voie lactée n’est qu’une parcelle parmi des centaines d’autres galaxies au sein de ce qu’on a décidé de nommer Laniakea, un terme voulant dire « horizons célestes immenses », qui est en fait un amas immense de galaxies. La trouvaille n’est qu’une confirmation additionnelle de notre petitesse dans ce qui semble être l’étude continue de notre insignifiance, et je crois sincèrement aux capacités salvatrices de la conscience de notre petitesse collective, et de notre vulnérabilité commune face aux aléas du destin et à l’infini du cosmos. Si nous sommes tous des riens égaux devant le néant, autant se traiter les uns les autres comme des égaux? Autant apprécier les rares moments éphémères qui nous sont arbitrairement alloués puisqu’on ne sait jamais à partir de quand notre sort cosmiquement négligeable a été scellé par des forces qui ne se feront visibles que lorsqu’il sera trop tard.
»Si nous sommes tous des riens égaux devant le néant, autant se traiter les uns les autres comme des égaux? »
Non.
C’est justement le contraire.
Game on les singes.