Le concept même de la voiture m’a toujours frappé. Plus que mon seul corps, c’est ma peur qui embarque à coup sur au coté passager, tandis que nous nous promenons tous dans ces véhicules. Ce qui me frappe, dans la voiture, c’est la condition nécessaire à son utilisation optimale: un contact minime, sinon absolument inexistant, avec tout élément extérieur à la voiture.
C’est peut-être issu de là, ma maladresse légendaire avec les autres. Légendaire. J’exagère. Mais bien réelle. Qu’est-ce que ça dit sur nous quand un des objets les plus convoités de notre époque, qui représente quasiment à lui seul le progrès et l’accomplissement en Amérique du Nord, vit sereinement uniquement lorsqu’il est en dehors de tout contact avec les autres? Que dire de quartiers et de villes apparus pendant les périodes fastes d’une société désormais en déclin qui laissent des immenses espaces aux voitures, mais si peu aux simples piétons? Existons-nous mieux en parallèle?
J’ai toujours vu Montréal comme des solitudes parallèles, qui co-existent, une toile éternellement renouvelée de rencontres nocturnes et passagères: des petits accidents de voiture, certains qu’on regarde pendant des années en contemplant l’horreur du contact, d’autres qui nous laissent des petites égratignures, qu’on ne veut pas prendre le temps de soigner, en se disant que ça ne ternit pas tant que ça la façade bien conçue de notre véhicule.
Je m’y connais peu, en voitures. J’ai peur d’à peu prês tous les modes de transport, de l’ascenseur en passant par l’avion au bus de nuit entre Montréal et Rouyn-Noranda: bouger, bien que nécessaire, me semble toujours comme un danger symbolique. Mourir pendant qu’on s’éloigne, ou pendant qu’on se rapproche, ça me semble particulièrement tragique. Mais la voiture m’effraie parce qu’il faudrait que j’allume le contact, que je prenne le volant, comme un Premier ministre bienveillant, et que je choisisse moi-même ma route.
Bien plus qu’une paresse issue du caractère relativement fonctionnel des transports en commun dans la métropole, mon refus obstiné de conduire (au grand dam d’un père désirant me voir emprunter une trajectoire différente) est probablement issu de ce malaise existentiel: partager la route avec tant d’autres individus mais devoir à tout prix leur échapper, les fuire, les éviter, comme une allergie saisonnière.
C’est peut-être parce que mes rapports sont des accidents. Que trop de mes contacts finissent en larmes, en ralentis catastrophiques, en bilans regrettables, que je crains la voiture. Essayer d’éviter à tout prix mes habitudes relationnelles au volant.
On dit souvent que la route est plus importante que la destination, mais lorsqu’il y a accident, la route n’est qu’une suite fatale de pièges invisibles qu’on ne pouvait pas vraiment éviter. Le choc écrase même le passé, parfois. Ce moment parfait, à regarder le soleil courir derrière les arbres tandis qu’on réfléchit de façon abstraite à notre existence, ce moment existe-t-il encore après un accident? Après le contact?
Que reste-t-il, sinon la route?