Je trouve ça particulièrement sidérant à quel point la nouvelle factuelle d’une attaque terroriste au Parlement soit devenue si vite une affaire de perception de soi nord-américaine. Le moment de l’annonce, toutes les pensées appréhendaient immédiatement un responsable musulman, certains que ce seul fait pourrait donner davantage de propulsion à un malaise occidental avec le monde arabe qui ne perd pas vraiment de vitesse.
Certes, la réaction est facile à anticiper. Compréhensible, aussi. On se fait nourrir beaucoup d’information inquiétante, ce n’est pas une simple nouvelle, un geste de violence absurde, c’est peut-être une attaque existentielle qui, si elle s’en prend au plus grand symbole de l’autorité canadienne, pourrait trouver sa prochaine cible dans n’importe quel élément canadien, ou québécois, comme on l’a bien vu. Bref, l’inquiétude, ça se comprend.
Ce qui me fascine, par exemple, c’est que les médias, et il y a rien de nouveau dans cette analyse j’imagine, s’intéressent davantage à adresser ces craintes, leurs sens, à se poser la question si telle pensée est raciste, intolérante, ou tout simplement issue du gros bon sens. Les questions se posent, et au final, ce qu’on fait, à part un portrait rapide d’une entité hostile dont le fonctionnement et la logique ne nous intéressent pas tant que ça, c’est surtout, un autoportrait.
Quelqu’un vient chez nous, nous pète la gueule, et on décide de se prendre un selfie sanglant, en se demandant, est-ce que je suis encore moi-même en ce moment? #AttentatOttawa
Je ne suis pas en train d’insinuer qu’une compréhension plus rigoureuse des fonctionnements d’ISIS et d’une culture qui voit cette organisation fleurir, ou qu’un rappel d’activité canadienne hostile au Moyen-Orient puisse justifier un tel geste. Mais au delà des éléments réels qui composent cette histoire sensationnelle, ce qui nous intéresse, c’est son impact sur nous. Pas comment c’est arrivé. Les organisations, les liens. Oui, des journalistes s’affairent à débusquer des informations. D’autres nous dévoilent que les parents du tueur regardaient les nouvelles.
Cette page couverture est géniale, au delà du fait trop évident que l’infographie suggère que les terroristes se retrouvent juste en bas du gros titre. C’est comme une parodie assumée de soi. Mais ce qui me fascine, c’est qu’on a troqué réellement le travail des journalistes par ceux des chroniqueurs. Exit leurs employés qui fouillent et qui sortent les détails inévitablement macabres d’une telle histoire. Ce n’est pas « Ses liens », « Ses croyances », « Les réactions de nos alliés », « L’avis de Washington », ou autres titres sensationnalistes qui refléteraient fidèlement la nature sensationnelle du drame. Ce sont les noms des chroniqueurs. Sept idées sur un même titre. Trente-deux petites histoires à propos d’Abdul.
J’aurai cru que comme société parano on aurait voulu en savoir un maximum sur ce monde extérieur qui s’est affalé sur nous en pluie de balles dont l’écho retentissait dans les corridors impeccables de notre gouvernement. Mais notre regard s’est simplement posé sur nous, encore: comment vivons-nous ça?
Au détriment, parfois, de ce qui est arrivé.
Et si toute société considérée dans sa facture propre, soit son identité fondamentale telle que ressentie par une majorité de ses membres, était d’abord et avant tout intrinsèquement narcissique?
Le nationalisme – notamment le nationalisme exacerbé de certains – n’est-il pas dans une bonne mesure empreint de narcissisme?
Il y a et il y aura toujours ce qu’en anglais on désigne comme un «peer group». Des liens d’appartenance et de solidarité entre personnes évoluant dans un même bassin. Ce peut être au niveau professionnel où les travailleurs d’un domaine particulier se reconnaissent et se serrent les coudes, ou encore dans son cercle d’amis, sans oublier sa cellule familiale.
Notre besoin d’inclusion à un ensemble est inné.
Car cela rassure. Il nous est éminemment confortant de ne pas nous sentir seuls – bien que nous le soyons nécessairement de par notre destinée individuelle, ce qui inclut notre santé, nos aptitudes et tout le reste qui nous distingue des autres.
Alors le fait pour une société de spontanément se rabattre sur son cocon identitaire primaire lors d’événements venant bouleverser sa quiétude tranquille habituelle – que cette société fut occidentale ou d’ailleurs – ne devrait nullement étonner.
C’est pour beaucoup une réaction de nationalisme. Et le nationalisme loge souvent à proximité du narcissisme.