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Le serpent qui mange sa queue

Les moralisateurs virtuels sont pris dans une spirale autodestructrice qu’ils ne reconnaissent pas, à cause d’une étroitesse d’esprit sans égal.

Les moralisateurs virtuels sont pris dans une spirale autodestructrice qu’ils ne reconnaissent pas, à cause d’une étroitesse d’esprit sans égal.

Le problème avec leur mode de pensée et de fonctionnement, c’est qu’il est motivé par un nivellement vers le bas, une radicalisation idéologique qui présuppose que l’idée la plus radicale, la plus bruyante (et ça, le bruit, c’est leur principal mérite), la plus dénuée de nuance, est l’idée qu’il faut activement poursuivre.

Cela mène à deux choses : la marginalisation au sein d’une population de plus en plus conservatrice mais également au sein de leurs sympathisants relativement centristes. En stimulant leur propre exclusion, ils justifient le bienfondé de leur cause et la nécessité de leur existence. Et en ayant constamment recours à des moyens de moins en moins démocratiques et de plus en plus intimidateurs, ils excluent automatiquement les acteurs les plus modérés de leurs camps qui rétréciront continuellement.

C’est un système qui renverra constamment à une cause, et qui est bâti sur l’illusion théologique qu’il existe un bien supérieur vers lequel nous devons nous diriger sans nuances, sans compromis, sans repos dans la lutte. En ce sens, les erreurs de parcours ne compromettent pas la nature du mouvement puisque la cause est juste et que la fin utopique est louable.

C’était le même discours qu’utilisait George W. Bush pour justifier ses deux guerres : la sécurité des États-Unis, et du monde, comme idéal absolument compréhensible pour justifier l’injustifiable. C’était l’idée derrière la Révolution culturelle : une société meilleure. C’est la raison d’être de la religion : le paradis. La coexistence harmonieuse. L’amour. L’amour pour justifier les croisades, les guerres, les génocides.

Le parallèle religieux n’est pas nécessairement anodin. Parfois, dans les lubies des dérives délirantes de ces apôtres du bien monopolisé, on suggérera des rapports entre hommes et femmes qui feraient réellement plaisir à des dirigeants talibans. On taira la multiplicité des voix. On érigera en apôtres et en martyrs ceux qui se rallient à la cause avec le moins de discrimination intellectuelle. Dieu est une cause, et il faut se prosterner.

Mais bref, ce système est basé sur l’exclusion systématique de la dissension en son sein : détracteurs sont exclus, chroniqueurs dissidents sont invités à se taire, et aucune action violente ou aberrante au nom de la cause n’est entièrement condamnable. On agit au nom d’un idéal supérieur, et tant qu’on ne perd pas cet idéal de vue, les différents gestes commis en son nom seront excusés, justifiés, seront l’objet d’inspiration pour les prochaines actions. Les « few bad apples » servent d’exemples négligeables au sein d’une cause noble, voire divine.

Comme si on pouvait juger qui que ce soit, ou quoique ce soit, en fonction de l’idéal projeté et non pas selon les gestes présents commis sur une base régulière.

Tout ceci mène à deux situations potentielles : la création d’une religion ou la formation d’une secte. La différence principale se retrouvant dans la portée d’un groupe versus un autre. Mais c’est le principe même de la radicalisation: la foi aveugle sera toujours récompensée tandis qu’un panoramique moins engageant sera perpétuellement découragé, le compromis inadmissible de ces traîtres qui ne croient pas en un idéal d’un monde infiniment meilleur. Ici, on se distancie du débat social et on se rapproche du diktat religieux.

Bâtir en détruisant.