Stephen Colbert a tiré sa révérence de façon plutôt épique lors du dernier épisode de The Colbert Report. Passé un peu inaperçu, on assistait également à la fin de l’émission nocturne de Craig Ferguson. Localement, Denis Talbot a animé le dernier épisode de M. Net en parfait gentleman. Et beaucoup plus près de mon coeur, l’ami et collègue André Péloquin annonçait son départ du VOIR, voguant vers d’autres cieux professionels.
Le temps passe.
J’embarquais pour la enième fois dans un autobus Maheux bondé en direction de Rouyn-Noranda, bout de pays dans lequel j’ai vécu pendant cinq ans, y découvrant des amis, des amours et des peines qui m’étaient préalablement privées en tant que petit garçon qui, tranquillement, devenait grand. Ma première copine sérieuse m’a marqué, une décennie plus tôt, en expliquant qu’elle enlevait toujours ses souliers quand les roues du grand bus commençaient à tourner, se rapprochant de la métropole québécoise ou bien de la capitale nationale du cuivre. C’est une tradition que j’ai adopté, mais quand cette même femme m’a retrouvé samedi matin au terminus, mes pieds ne s’étaient jamais libérés de leurs bottes protectrices.
C’était peut-être le froid de ce grand bus. C’était peut-être parce qu’il était constamment bondé. Mais ce petit hic n’était qu’un détail irritant dans une mosaïque variée et aliénante d’irritants propres à ces longs voyages de nuit pendant lesquels le moteur gronde, les bosses deviennent des petits soubresauts collectifs, les arrêts sont interminables et les conversations avoisinantes sont explicites et trop bruyantes.
Les appréhensions ressenties à l’égard de ce long trajet s’évaporent au moment même où les bâtiments familiers défilent devant notre bus finalement arrivé à destination. Depuis près de dix ans, sinon plus, des amis du secondaire se réunissent autour du solstice d’hiver pour célébrer le temps des fêtes sans essayer de monopoliser les dates de fêtes plus officielles, réservées aux familles éparpillées partout à travers la province.
Tandis que les ventres des hommes gonflent avec une régularité déconcertante, ceux de certaines amies varient, la vie se bousculant tranquillement dans le corps de ces femmes avec qui j’ai fait la fête tant de fois, avec qui j’ai ri et bu et qui, depuis, s’occupent à donner la vie.
À North Bay, un autre endroit enneigé à mille lieux de ma métropole, mes deux neveux grandissent à une vitesse déconcertante. Le premier s’exprime de plus en plus, communiquant avec joie avec ses oncles et sa tante. Le second est né il y a à peine quelques mois, fort et grand, son corps est un réceptacle constant de stimulations sensorielles qu’il peine à comprendre. Je le fais regarder des textures sur les murs décorés de ma soeur. Je lui fais des sons dans chaque oreille. Tout est nouveau. Ça fait si longtemps que tout n’est pas nouveau.
À Montréal, un de mes colocs est parti; pendant la nuit, au petit matin, impossible de savoir réellement. Il reste si peu d’une présence qui pourtant occupait cet espace.
Le temps passe.
J’ai obstinément refusé de participer virtuellement à la célébration collective de la fin d’année et du début de la nouvelle. Comme si les quelques jours de liberté dirigée allaient changer grand chose aux tendances majeures. Comme si les résolutions positives n’allaient pas être balayées par nombre de vents froids, comme si les promesses de rencontres et de projets n’allaient pas se faire enterrer sous un torrent de neige.
Plus je vois les couples autour de moi, plus je réalise que ce n’est peut-être pas pour moi. Qu’au-delà de l’apparence de sécurité et de confort, il y a une certaine notion d’aliénation. Dans ma tête, le couple, c’est une équipe redoutable, des frères et soeurs d’armes qui participent aux mêmes petites victoires et aux défaites communes. Mais avec le temps, le partenaire familier peut devenir un adversaire redoutable. Je l’ai vu tant de fois. Les répliques assassines qui fusent, les silences et les soupirs comme seules potentielles expressions de liberté, les petites distances ponctuelles planifiées comme récréations avant le terrible retour à l’autre.
Parce qu’au final, c’est ça qu’on se donne, quand on accepte un contrat tacite, soit avec une société, soit avec un individu qu’on aime: une structure rigide à laquelle on revient toujours, même après les petites absences planifiées qui nous forcent à tenter d’apprécier le moment avec une détermination professionnelle. Enlevez les achats de Noël, les distances parcourues, les invitations, les échanges formels, les achats dernière minute dans une SAQ bondée, les photos Instagram d’un moment de tranquillité, et que reste-t-il? Une visite conjugale.
On le sait très bien, non, que les tendances lourdes vont se maintenir en 2015? L’austérité, notre vieillissement, nos dépendances, nos craintes, nos comptes en banque de plus en plus maigres? On le sait qu’aucun changement de calendrier ne peut vraiment altérer le cours de notre existence, que ce sont les longues habitudes et les brefs moments marquants qui feront notre année, un soir de mars en 2015, une relation entamée en 2013, un deuil qui perdure. Mais pourtant, le bilan s’impose, la catégorisation explicite de nos succès et de nos échecs, le catalogue exhibé d’une vie déjà dévoilée en temps réel. Ah oui, c’est vrai, elle a fait ça cette année. Eh bien.
C’est étrange à dire, ce choix de vie; quand on n’érige personne comme notre autre moitié, on fait face à mille sourires potentiels, à mille moments de tendresse et de nudité, mais le tout est bien plus volatile. Si la relation amoureuse se présente comme un boulet face auquel on exprime pleinement le syndrome de Stockholm, la relation frivole est un flocon de neige qu’on tient entre les mains. Soit le vent l’emportera, soit vous verrez la relation fondre devant vous au moment ou vous y détectiez la beauté infinie des détails.
Faire le ménage, c’est constater que des objets ont pu exister tellement pour nous, ensuite, logés quelque part sur un bureau ou dans un garde-robe, cet objet a cultivé l’insignifiance et l’obsolescence, pour n’être qu’on objet sans aucune charge émotionnelle, l’enthousiasme ressenti à son égard devenant soudainement absurde, obscène, fallacieux. Et on le jette.
Comme dans ce jeu de coeurs et de corps.
Ceci est, je l’espère, le dernier billet du genre. Je constate que mon spleen est constamment marqué par le fait que le temps n’avance que dans une seule direction. Et que cela ne changera jamais. Il me faudra donc abandonner ce spleen-là, aussi familier, doux et aliénant soit-il.
Le temps n’avance que dans une direction?
La ligne du temps n’a pas de début et elle n’aura jamais de fin.
C’est fucké