C’est la haine qui a poussé aux massacres sordides à Paris en ce début d’année. Et la réaction que ce geste horrible inspire en premier lieu puise inévitablement dans les mêmes sources intarissables de la haine à l’origine de l’acte.
En ce sens, la réaction violente qu’elle inspire en nous, qui nous associons inévitablement aux victimes, est compréhensible, naturelle, la conséquence inévitable d’une agression si existentielle. Le confort rassurant et communautaire de cette haine, cependant, est un pur piège, qu’on se tend soi-même.
Il faut savoir qu’il existe un écart énorme entre ceux qui ressentent la haine, spectateurs impuissants d’une danse macabre continue entre des élites violentes, et ceux qui l’exploiteront sans scrupules ou gêne aucune.
Il ne faut que puiser dans les dernières décennies, de celles qui ont suivi le 11 septembre, ou de celles qui les ont précédé, pour comprendre que la haine collective ressentie à l’égard de l’autre (ici, évidemment, des musulmans) ne profitera pas aux citoyens craintifs à la recherche de vengeance ou de solutions radicales pour éradiquer un problème aussi difficile à comprendre qu’à régler.
Mais en assumant pleinement notre haine, en la rendant décomplexée et assumée, on donne le pouvoir à des gens aux agendas définis depuis longtemps qui profiteront de toute entreprise discriminatoire ou même militaire. À qui auront servi les guerres successives en Afghanistan et en Irak, sinon d’abord aux manufacturiers d’armes, aux services de sécurité privées, aux imams radicaux qui postulent sans cesse la théorie de plus en plus répandue d’une incompatibilité profonde entre le monde arabe et l’Occident?
À qui ont servi ces bombardements et ces millions de morts, dans tous les camps (mais surtout dans un), sinon aux carrières politiques de certaines apôtres du mépris et à la montée d’un radicalisme islamiste? Hier on disait Talibans, aujourd’hui on dit État Islamique.
À qui servira l’expression continue des dérives de l’Islam sinon à nos chroniqueurs assoiffés d’indignation collective? À qui a profité la montée de l’islamophobie aux États-Unis sinon des Ann Coulter et des Bill O’Reilly? Plus localement, nous enrichirons les clics et les comptes en banque des Sophie Durocher et Richard Martineau de ce monde, incapables de cacher la jubilation macabre face à la confirmation ponctuelle de leurs prédictions sinistres. Politiquement, nous donnerons les armes à Stephen Harper pour justifier verbalement des politiques entamées bien avant les gestes atroces qui les justifient rétroactivement.
Collectivement, nous n’en gagnerons rien. Comme personne n’a rien gagné de l’internement des Japonais dans des camps pendant la Deuxième guerre mondiale, comme aucune société n’a jamais vraiment profité de la canalisation militaire, médiatique ou politique de leurs craintes profondes, de leurs désirs parfaitement compréhensibles d’un monde sécuritaire, un luxe et un privilège rare dans ce monde si cruel.
Demandons-nous d’abord à qui peut bien profiter cette haine décomplexée. Est-ce que l’expression assumée de celle-ci nous dirigera potentiellement vers un monde plus sécuritaire, ou cela ne fera-t-il que permettre le retour obscène des erreurs tragiques d’un passé qui se renouvelle, ces temps-ci, avec une force et une fébrilité enivrante?
La haine se nourrit de la simplification. On apporte des réponses caricaturales à des problèmes d’une infinie complexité, on désigne un ennemi facile à repérer, et on fonce sans plus se poser de questions. C’est ce qui fait le lit des guerres et des pires atrocités. Un seul remède : l’éducation. Privilégier la réflexion plutôt que l’action bille en tête. Et se donner le temps de réfléchir avant d’agir.
Coudonc, avez-vous soupé avec Mohamed Lotfi récemment ? Parce que vous êtes drôlement en phase avec les principaux éléments de son dernier billet dans le même journal. Convergence idéologique, co-conspiration ? (Je rigole bien sûr). N’empêche qu’au chapitre notamment de la notion de communautarisme et des multiples questions du genre : «à qui profite cette haine ?» (ou ces meurtres), laissant planer une fois de plus, le spectre du grand complot des «puissants», il y a de quoi se le demander. Facile de semer le doute avec le sempiternel argument du complot planétaire et de laisser croire à une faction géopolitique plutôt qu’à une autre. Le véritable «complot» ici me semble être la nature humaine.
Les entités à qui les guerres profitent sont, quant à moi, les mêmes qu’au Xe siècle. Être bien renseigné historiquement au sujet de l’inépuisable conflit qui oppose chrétiens et musulmans (pour ne nommer que ceux là) depuis des siècles, peut d’ailleurs potentielement générer une immense perplexité voire un inéluctable cynisme ; soit le constat que le monde semble incapable d’évoluer et que malgré certaines avancées sociales et technologiques, nous sommes apparemment incapables de dépasser notre propension à la stupidité et notre incapacité d’humains à reconnaitre les desseins des grands manipulateurs de tout acabits. Ceux-là mêmes qui profitent des conflits de tous genres, les inventent et les gardent actifs depuis le début des temps.
Si vous et Lofti pensez que tout cela ne se résume qu’à imputer au capitalisme en général et à la droite américaine, tous les maux du monde ou à tout le moins, ici, la montée de l’anti islamisme, je vous suggèrerais d’écarter un peu vos ornières. Car pour chaque Coulter, O’Reilly, Limbaugh, Fox News de ce monde, vous savez très bien que l’on pourra facilement trouver un équivalent proportionnel du côté des Islamistes. La propagande est la même chez les vendeurs de pétrole que chez les acheteurs. Chacune des parties utilisera à sa guise les outils dont il dispose, argent, médias, indignation et autres pour vendre sa salade et manipuler le peuple. La haine existe depuis toujours à gauche, à droite, au centre et a fini par se cristalliser au fil du temps, par différents mouvements, élaborés au rythme de l’évolution sociale, des facteurs de barbarisme, de joug et de culture de différentes régions à travers de multiples personnages imaginaires qu’on a nommé Dieu, Allah, Jesus, Abraham, Bouddha, Brahman. Autant de grands apôtres fictifs dont le dénominateur commun est la peur et par conséquent, l’incapacité des individus à décider seul. Personne ne peut revendiquer l’exclusivité de la haine. Elle est bien vivante d’un côté comme de l’autre, que ce soit à coups de drones, d’égorgements publics. L’effet est le même.
Cela dit, j’aimerais pouvoir écrire une conclusion édifiante mais je sais trop que je suis incapable de clore ce débat. Alors, la seule chose à laquelle je pense est de vous suggérer de faire comme moi et de ré-écouter «Le Blues de la Bêtise Humaine»…
Interrogation d’autant plus pertinente quand on sait que les deux frères responsables de la tuerie de Charlie Hebdo avaient établi contact avec Al-Qaïda en 2003, peu de temps après l’invasion de l’Irak par Bush et Blair. Et en réponse à cette agression.
Et ils vont où les commentaires autres que ceux qui vous donnent raison ? Trois fois que j’en publie et je ne les revoient plus. Censure ? Convergence ?
Bien désolé. Ça fait des mois que ces réponses apparaissent dans mon spam. J’y suis allé faire un tour inopinément, et je viens de voir que mes textes ont fait réagir davantage que je ne le pensais. Désolé si vous vous êtes sentis censurés, vous vous retrouviez malheureusement dans les limbes virtuelles d’une faille technique hors de mon contrôle!