BloguesPenser le ventre plein

Fermier des villes ou fermier des champs ?

Parcelle de terre ayant besoin d'amour

 

D’aussi loin que je me souvienne, mes parents ont toujours eu un potager. Il a varié de forme et de contenu selon les maisons où nous avons habité, mais il a toujours pris soin de nous fournir abondamment en tomates cerise et en concombres anglais. Même quand nous vivions dans le Bas-du-fleuve, où les caprices de la température rendent la culture potagère un peu plus hasardeuse, nous avions droit à des légumes locaux (pour autant que le trajet Rimouski-Amqui ne violait pas la règle du « 1oo miles ») grâce au productif jardin de mon grand-père maternel. C’est probablement pour ça, avec le fait que ma mère ait toujours cuisiné et travaillé dans des restaurants et que ma grand-mère ait eu pour métier de préparer des bouffes collectives pour toutes les occasions spéciales imaginables, que je suis actuellement obsédée par la nourriture et la place que nous lui accordons en tant que société.

Ce n’est malheureusement pas le cas pour tous. Si les gens de ma génération ont relativement été en contact avec de vrais aliments à l’occasion, celle qui nous suit a été frappée de plein fouet par les changements de l’industrie alimentaire et l’offre toujours plus grande en aliments transformés de toutes sortes. Sur les tablettes des épiceries, il est maintenant possible d’acheter de la purée de pommes de terre préparée de pommes de terre à 100% et contenant néanmoins plus de vingt ingrédients et du guacamole sans avocats (ou presque), et cela, dans le but de dépanner les ménages trop pressés par le temps, même pour mettre quelques légumes en purée. C’est encore pire chez nos voisins du Sud, assez bizarrement champions à la fois de l’offre de nourriture naturelle et biologique de masse et de la diversité et l’incongruité des aliments transformés. Si on peut honnêtement se questionner sur l’effet que peuvent avoir les produits transformés sur la santé des enfants qui les consomment (et des parents !), un effet pernicieux mais moins connu de ce type d’aliments est de modifier la perception qu’ont les enfants de la vraie nourriture. C’est un phénomène tellement flagrant que des études s’intéressant à cette problématique ont démontré que les enfants auxquels on aurait demandé de dessiner des carottes ou un poulet  vont, en majorité, instinctivement dessiner la version transformée à laquelle ils sont habitués: les bébés carottes et le poulet rôti, voire même les croquettes de poulet.

En quoi est-ce inquiétant ? Dans une certaine mesure, c’est inquiétant parce que les citadins que nous sommes ont tranquillement perdu le contact avec la campagne. Au Québec, le fossé qui existe entre les villes et les campagnes est plus que flagrant: les unes ignorent la réalité des autres et vice-versa, ce qui mène à une incompréhension de plus en plus généralisée de la réalité agricole, en plus de contribuer à l’isolement des agriculteurs qui sont pourtant essentiels au maintien de la vie des citadins. On sait pourtant depuis un bon bout de temps qu’un retour à une hygiène de vie plus proche de nos racines serait bénéfique, pour le maintien de notre santé et pour le maintien de notre savoir-faire culinaire. Dans son article Unhappy Meals, qui fut le prélude à son Eater Manifesto qui créa une onde de choc dans le milieu de la sociologie culinaire, Michael Pollan établit qu’au-delà de tout principe diététique, la première règle à suivre en matière d’alimentation, c’est de manger de la nourriture. De la vraie nourriture: « Dans l’état de confusion actuel, ceci est plus facile à dire qu’à faire. Essayez donc ceci: « Ne mangez rien que votre arrière-grand-mère ne reconnaîtrait pas comme étant de la nourriture. » Dans les supermarchés, il y a plusieurs simili-aliments que vos ancêtres ne reconnaîtraient pas comme étant de la nourriture. Tenez-vous loin de ceux-ci. ».

Dans le fossé qui s’est creusé entre les villes et les campagnes, on a un peu perdu de vue ce qui est et ce qui n’est pas de la vraie bonne nourriture, non pas au sens nutritionnel du terme, mais au sens écologique et culturel du terme. Et c’est dommage. Mais heureusement pour nous, les choses sont tranquillement en train de bouger en ville. Il  y a actuellement une vague de retour à la terre chez les citadins qui se traduit par une multiplication des projets verts. Montréal a accueilli en 2011 sa première serre commerciale sur les toits de la ville et son premier jardin coopératif, que l’on peut voir dans la nouvelle émission de Ricardo Larrivée, lui-même nouvellement « fermier », sur l’agriculture urbaine. Pour continuer en ce sens, d’autres options s’offrent aux Montréalais et aux autres citadins qui n’ont pas accès à un terrain assez grand ou assez fertile pour y cultiver un potager. De simples boîtes à fleurs bien entretenues (on les démarre avec 40% de compost et 60% de terre noire pour s’assurer d’un maximum de vie dans le terreau) peuvent suffire à faire pousser des fines herbes et quelques tomates. Même le jardin botanique s’est mis à l’arboriculture fruitière… en pots ! Pour les plus téméraires (ou ceux qui ont plus de temps), il est aussi possible de louer pour presque rien une parcelle de terre dans le jardin communautaire de votre quartier. C’est d’ailleurs la mienne que vous voyez dans les photos illustrant ce billet. Attention toutefois: selon les quartiers, les listes d’attente peuvent être très longues, et les jardiniers de l’année précédente ont priorité sur les nouveaux venus. Si vous avez la chance de mettre la main sur un jardinet, ne déménagez plus !

Une dernière solution, pour les gens qui n’ont pas le pouce vert ou qui ont un horaire un peu trop chaotique pour prendre soin de quelques plants de légumes serait le projet d’Agriculture Soutenue par la Communauté (ASC), géré depuis plusieurs années par l’organisme Équiterre. Le principe de l’ASC est simple: au début de la saison estivale, les gens sont invités à s’inscrire auprès d’un fermier local pour bénéficier d’un panier de légumes (et d’autres produits, selon la production de la ferme choisie) bios qui sera livré chaque semaine à un point de chute déterminé. Au lieu de payer chaque semaine pour son panier, le client défraie à l’avance le coût fixé par l’agriculteur, ce qui permettra à ce dernier d’avoir des fonds disponibles pour commencer la saison. Si la météo se fait capricieuse et que les récoltes sont moins bonnes, les paniers seront moins garnis. Par contre, en période d’abondance, les clients auront des légumes à ne plus savoir qu’en faire. C’est ce qu’on appelle le partage du risque. Parlez-moi de réduire la distance entre villes et campagnes !

Le bien-fondé de ce retour à la terre, c’est évidemment de reconquérir notre relation avec la nourriture (quand je vous disais que ça m’obsédait…). Pour des raisons de santé, mais aussi pour le plaisir ! Avoir accès à des produits frais, sains et goûteux (plus que les légumes en dormance entreposés dans des entrepôts réfrigérés, disons) nous force à prendre part au processus de transformation, ce qui ne peut qu’être bénéfique pour notre savoir-faire culinaire. Et après un temps considérable passé derrière les fourneaux, s’attabler devient un exercice gratifiant et relaxant, un aspect que l’on a peut-être un peu trop souvent négligé au cours des années.

La saison des semailles commence. Allez-vous vous y mettre ?

Parcelle de terre ayant été considérablement aimée