Si, comme moi, vous avez un cœur (et je vous soupçonne fortement d’en avoir un, en tout cas, c’est mieux pour vous, pour toutes sortes de raisons), des documentaires comme The Cove ou Sharkwater ont probablement éveillé en vous une sorte de sentiment de rage ou d’écœurement devant l’absence de volonté politique internationale à l’égard de la protection de la faune maritime. La chasse aux dauphins et aux requins, animaux souvent tués en pure perte et dans le mépris de la loi, a de quoi émouvoir, surtout lorsque l’on sait que leur viande ne sera finalement consommée que par une fraction de la population des pays qui pratiquent ces pêcheries, produits de grand luxe obligent.
Vous pensez que c’est mieux au Canada? Pas du tout. La pratique de la pêche commerciale dans les eaux territoriales canadiennes, dont les règles ont encore été assouplies l’an dernier dans le cadre du bill omnibus 35, n’a pas de quoi nous rendre fiers d’être canadiens (une autre raison à ajouter sur votre liste). Alors que le pays persiste à se présenter comme un leader en matière de gestion des eaux territoriales, la réalité est que le Canada est à la traîne, et qu’il refuse de mettre en place les stratégies nécessaires à la protection du patrimoine marin, et ce, malgré un rapport de la Société Royale du Canada mentionnant que la poursuite d’une surpêche quasi-anarchique « aura des conséquences graves pour la sécurité alimentaire et le bien-être socio-économique des collectivités côtières. »
C’est le genre de nouvelle qui, pour une Gaspésienne comme moi, élevée aux fruits de mer et aux poissons comme les enfants de la ville sont élevés au pablum, a tous les augures d’une catastrophe. Après vingt ans de moratoire sur la pêche à la morue, la population maritime de cette seule espèce ne s’est toujours pas reconstituée. À l’extérieur des cages à homard et des casiers pour le crabe, les méthodes de pêche utilisées par une majorité de pêcheurs contribuent à la dévastation des fonds marins. Après le passage d’une drague à pétoncles, le fond de l’eau est vide, et c’est l’écosystème au complet qui devient une prise « accessoire » (accidentelle, si vous préférez). Sans cesse raclés et balayés, les milieux vivants finissent par connaître des transformations irrémédiables et irréversibles. À ce jour, l’huître d’élevage est probablement la seule espèce « pêchée » au Canada qui peut être consommée l’esprit tranquille, dans le respect de tous vos principes alimentaires et éthiques (enfin, si vous en avez).
Les scientifiques de Pêches et Océans Canada ont assurément toutes les connaissances nécessaires pour mettre en place un plan de survie pour nos fonds marins. L’établissement de cibles de référence pour déterminer à partir de quel moment une espèce est surpêchée et de plans pour favoriser le rétablissement de celles dont la population a diminué de façon importante ferait déjà beaucoup. Mais le gouvernement préfère plutôt couper dans les budgets de recherche de l’organisme chargé de veiller au grain, continuant de se fier à la Loi sur les pêches de 1868 (1868!) pour effectuer la gestion délicate de cette industrie en crise. Malgré les recommandations de la Société royale du Canada, le gouvernement Harper préfère continuer de chercher à faire croître l’industrie de la pêche, en dépit des conséquences graves qui nous pendent au bout du nez. Et la législation souple et obsolète qui est actuellement en vigueur a de quoi réjouir l’industrie pétrolière, qui pourra continuer d’aller de l’avant avec la recherche et l’exploitation de nouveaux gisements pétroliers.
Le sujet vous intéresse ? Visionnez l’excellent reportage de Josée Dupuis diffusé dans le cadre de l’émission Enquête du 8 novembre dernier.