Éric Plamondon : remonter à la source
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Éric Plamondon : remonter à la source

Exilé à Bordeaux depuis 20 ans, l’écrivain québécois Éric Plamondon revient constamment en Amérique par la fiction. Dans son quatrième roman Taqawan, il s’intéresse à l’amérindianité et, plus précisément, au manque de communication qui surplombe les relations entre Autochtones et Québécois.

Bien que son fil narratif relève davantage de la fiction que celui de sa trilogie 1984 amorcée en 2011, Taqawan prend racine dans un fait historique, celui de la crise du saumon qui a secoué la réserve de Ristigouche le 11 juin 1981. Des centaines d’agents de la Sûreté du Québec avaient alors envahi la réserve pour saisir violemment les filets de pêche des Micmacs, après qu’ils aient refusé d’obtempérer à l’ordre du gouvernement Lévesque «de ne pêcher le saumon que trois fois par jour» et de «retirer leurs filets avant le 10 juin».

«Je pense que c’était surtout une grosse game de pouvoir», explique l’écrivain, rencontré la semaine dernière lors d’un court séjour au Québec. «À ce moment-là, on est un an après le référendum, et René Lévesque vient quand même d’être réélu. Il a besoin de réaffirmer son autorité face au fédéral et les Micmacs en font les frais d’une certaine façon. Selon le gouvernement, ce sont eux qui nuisent à la ressource même si, en moyenne, ils pêchent à peu près 50 tonnes par année, ce qui n’est rien comparativement aux 350 tonnes des chalutiers. Le tout est d’autant plus absurde quand on sait que, juste en face au Nouveau-Brunswick, on pêche abondamment dans la même rivière.»

Loin de vouloir être un porte-parole des questions autochtones, Plamondon a ce désir de les aborder afin de les mettre en lumière. Selon lui, si l’on n’entend plus parler de cette guerre du saumon aujourd’hui (événement pourtant souligné chaque année dans la réserve de Ristigouche), c’est qu’on continue de fermer les yeux et d’oublier volontairement notre histoire avec le peuple fondateur du continent.

D’ailleurs, en France, les Indiens d’Amérique semblent soulever davantage de curiosité et de passion qu’ici même, selon ce qu’a pu observer l’auteur: «Les Français m’en parlent tout le temps! Dès que je leur dis que je suis Québécois, ils me parlent des Indiens. Souvent, ils ont même une anecdote à propos d’eux. En tant que touristes, ils en savent parfois plus que moi, qui vient du Québec.»

Approche documentaire

C’est en voyageant en Gaspésie avec sa famille que l’auteur a eu le déclic pour écrire Ristigouche, nouvelle initiatrice ayant pavé la voie à Taqawan. «C’est là que j’ai découvert la réserve», dit-il. «Ce que je trouvais le plus intéressant, c’est que, dans la même réserve au fond de la Baie-des-Chaleurs, il y a eu deux événements: la crise du saumon de 1981 et la bataille navale de 1760. Les enjeux étaient totalement différents, mais pas les protagonistes. Un peu comme si les tiraillements politiques du début de la colonisation n’étaient toujours pas réglés et qu’ils se rejoignaient en miniature dans cette crise du saumon.»

En 2015, Éric Plamondon est donc retourné en Gaspésie avec l’idée bien définie d’aller faire un tour à Ristigouche: «Ça a pas été évident, mais je suis entré dans la réserve. Sur place, j’ai rencontré une personne clé qui s’occupe de tout le volet culturel. Elle m’a raconté plein de trucs, plein de bribes d’histoires qui se sont ensuite ramassés dans le livre. Je me suis promené quelques jours. Un matin, je suis même allé pêcher le saumon dans la rivière. C’était important pour moi de plonger là-dedans. En sachant que le livre était déjà commencé au quart, ça m’a permis de recadrer mon histoire.»

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Cette approche documentaire a des résonances avec celle qui prévalait dans les trois tomes de 1984 (Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise et Pomme S), sauf que, cette fois, Plamondon a décidé de s’imprégner d’un endroit plutôt que de pousser ses recherches sur des figures emblématiques de l’américanité. Par-dessus tout, il voulait utiliser cette expérience de terrain pour développer davantage son imaginaire. «La fictionnalisation prend ici le pas sur la recherche de faits historiques», explique-t-il. «Au fur et à mesure que le jeu se développe entre les personnages, on part dans l’aventure, le polar, le roman noir. J’ai eu une petite passe où je lisais beaucoup ce genre de romans, alors quand je me mettais à écrire, je tombais dans le suspense et l’action.»

Encore une fois, Plamondon s’illustre avec un style bien à lui qui privilégie les courts chapitres et l’ellipse. Pour l’ancien étudiant en communication de l’Université Laval, ce format littéraire est hérité de son amour du montage vidéo et lui permet de donner à son œuvre un aspect polyphonique, généré par l’assemblage des discours et des points de vue de ses différents personnages.

«Je veux que les gens puissent tirer leurs propres conclusions de cette histoire-là», résume-t-il, avant d’y aller de sa vision personnelle de l’œuvre. «Taqawan, c’est le saumon qui remonte à la source. Je trouve ça emblématique de mon désir de revenir constamment à la source sociologique des faits. Quand je tombe dans une histoire, j’aime aller au fond des choses, et cette idée de remonter avant de repartir à nouveau, elle me parle beaucoup.»

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