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De la violence

On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit
jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent.

– Berthold Brecht

De la violence ! proclame la ministre Thériault, qui parle de ces « vandales » qui commettent des gestes « dangereux ». De la violence ! dit Jean Charest en soulignant les « positions extrêmes de la CLASSE ». De la violence ! affirme la ministre Beauchamp qui exclut la CLASSE de la table des négociations parce qu’elle refuse de condamner ces gestes.

De la violence ! affirment les journalistes.

De la violence ! disent les fédérations étudiantes.

De la violence ! proclament à l’unisson tous les hauts parleurs de société.

Alors que les étudiantes et les étudiants font face à une répression sans précédent depuis le début de cette grève, ce sont eux – semble-t-il – qui sont sommés de « condamner la violence ». Un brin de mauvais goût, ce spectacle nous en dit beaucoup sur les valeurs qui animent notre société.

Renversement complet

Notre élite semble de plus en plus oublier que 1984 de George Orwell n’est pas un mode d’emploi, mais bien un roman. Selon les porte-paroles des forces de l’ordre – le plus souvent relayés par les journalistes – la répression policière viserait à « protéger les manifestants ». Un peu comme l’eau se changeant en vin, elle aurait la possibilité de se transformer en « opération de paix ». Les policiers, vous aurez peut-être remarqué, sont sans cesse « forcés » et « obligés » d’intervenir. Il ne pourrait d’ailleurs en être autrement lorsque la « situation dégénère ».

Notre société, et c’est à donner la nausée à n’importe quel être humain censé, voit le monde à l’envers. Elle nie la violence qu’elle exerce pour mieux l’attribuer à ceux et celles qui la critiquent. Lorsqu’il s’agit, par exemple, de savoir si « nos » troupes doivent participer à la « pacification » de l’Afghanistan, les soldats sont, bien entendu, présentés comme des exemples de courage et de vertu, et ce sont ceux qui s’opposent à la guerre qui sont accusés d’être « malades », « castrés », « immatures» et « adolescents » [1]. Commentant les manifestations à Québec contre le départ du 22ème régiment, Mario Roy de La Presse a parlé de ces « pacifistes guerriers » qui se préparaient à l’« assaut » de nos troupes [2]. Son collègue du Journal de Québec a ajouté pour sa part qu’il n’y avait « rien de plus agressif que des pacifistes patentés » [3].

C’est ce renversement qu’on tente d’enfoncer dans le fond de la gorge des étudiantes et des étudiants. Alors que depuis le début de ce conflit, les grévistes font face à la violente répression de la police – on compte plusieurs dizaines de blessés et plusieurs centaines d’arrestations; alors qu’on nie jusqu’à l’existence même de leur grève qu’on tente de faire passer pour un « boycott »; alors que l’État force le retour en classe à l’aide de l’escouade anti-émeute et des gardiens de sécurité armés – qui vont jusqu’en classe pour identifier les étudiants et les forcer à assister à leur cours (!);  ce serait aux grévistes de condamner « leur » violence ?

Antiviolence

Les actions des étudiantes et des étudiants ne peuvent en aucun cas être considérées comme violentes. Bien au contraire, elles tentent de résister à la violence de l’État sans pour autant reproduire sa brutalité. Ce n’est pas de violence dont il s’agit, mais bien d’antiviolence.

L’action étudiante s’attaque aux institutions de la violence, à l’État et à la société marchande, et non aux individus. Ces actions tentent de résister à la violence sans pour autant la reproduire. Elles tentent de trouver un juste équilibre entre le refus de subir la brutalité et le refus de la faire subir aux autres. Elle s’en prend aux banques, aux bureaux du gouvernement, aux bureaux de députés, aux voitures de police, etc. Le « vandalisme » et le « grabuge » sont le plus souvent les résidus des combats menés pour contrer la brutalité de la police et du droit.

En demandant aux étudiantes et aux étudiants de condamner la violence, c’est un peu comme si on exigeait d’eux qu’ils ouvrent la bouche et les yeux afin de mieux sentir les gaz lacrymogènes et le poivre de Cayenne qu’on leur jette à la figure depuis plusieurs semaines. C’est d’ailleurs pour cette raison que le seul « débat » qui émerge présentement ne concerne pas les agissements et le rôle de la police, mais bien le port du masque et l’obligation d’obtenir un « permis de manifester ».

Mais plusieurs étudiants semblent l’avoir compris. La désobéissance civile, ce n’est pas la violence. C’est l’envers de la violence, sa négation.

La guerre, ce n’est pas la paix.

La liberté, ce n’est pas l’esclavage.

L’ignorance, ce n’est pas la force.

 

[1] Dans l’ordre, ces citations proviennent de : Jacques Brassard, Le Quotidien, vendredi 6 juillet 2007; Équipe Égards, « Dantec devant les castrés », Égards, janvier 2004, no 17; Mathieu Bock-Côté, lors de son passage à l’émission Il va y avoir du sport à Télé-Québec le 20 octobre 2007.

[2] Mario Roy, « La double parade », La Presse, 22 juin 2007.

[3] J.Jacques Samson, « Une armée de volontaire », Le Journal de Québec, 23 juin, 2007.