BloguesEssais de néantologie appliquée

Va te gratter la charte avec autre chose que mon féminisme !

J’ai bien peu d’intérêt pour la bébelle idéologique du PQ. Idéologique, oui, j’y reviendrai. À vrai dire, le débat sur la charte des valeurs québécoises ressemble bien plus à du grattage de bobo pis de la chicane de balcon qu’autre chose. Ça pue le populisme, l’émotivité et l’irrationnel.

Je dois avouer que j’ai même une sorte de plaisir coupable (et surtout cynique) à regarder les deux camps s’obstiner à celui qui pisse le plus loin est plus laïc que l’autre. Devant le ridicule de la situation, je facepalme beaucoup ces temps-ci.

Aussi, il est médiatiquement de bon ton, semble-t-il, de prendre position sur ladite bébelle. J’aimerais ça, pouvoir dire que je m’en bats complètement les couilles (symboliques et ostentatoires), malheureusement, non.

C’est ben d’valeur !

Idéologiquement, ce que le PQ a présenté, ce n’est pas n’importe quelle charte, c’est une charte des « valeurs québécoises ». Qu’est-ce qu’une valeur? Un jugement d’ordre moral (généralement personnel) sur ce qui est bon, beau, vrai, bien, et qui détermine la conduite (d’un individu). Vouloir ériger un système de valeurs dites québécoises sous forme de norme sociale, ce n’est pas anodin, c’est du nationalisme (identitaire). C’est dire, voici la bonne façon d’être Québécoise et Québécois. Voici la seule vraie laïcité. L’égalité entre les hommes et les femmes, celle qui est bien, ce n’est pas un salaire égal (on ne l’a toujours pas), c’est ne pas porter de méchant voile. Le catholicisme, c’est beau, c’est notre patrimoine à nous.

Aussi, ce n’est pas simplement les minorités touchées par l’interdiction de porter des signes religieux ostentatoires qui sont lésés ici, mais l’ensemble des individus qui ne désirent pas que leur système de valeurs leur soit dicté par une élite au pouvoir.

C’est avec ou contre « nous »

Je pourrais m’étendre longuement sur la différence entre la laïcité ouverte et la laïcité fermée, renchérir sur la nuance entre la laïcité de l’État et celle des individus, ce qui m’amènerait au pourquoi du comment l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires m’apparaît anticonstitutionnelle pis toute. Je pourrais soulever les contradictions qui parsèment la proposition de charte, montrant clairement son biais identitaire crade. D’autres l’ont fait, sûrement mieux que moi.

J’ajouterais sans doute qu’il faut être gravement enfoncé dans le capitalisme par-dessus la tête pour faire croire au monde qu’ils représentent leur employeur (soit l’État dans ce cas précis), comme des esclaves privés de toute individuation sur leurs heures de bureau.

Cependant, ce n’est pas ce qui me dérange le plus. Nah.

L’égalité, en principe

En utilisant le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, le gouvernement péquiste instrumentalise le féminisme. Je m’explique à l’aide d’exemples.

Un ami Facebook publiait ainsi le lien vers la manifestation pro-charte en clamant que celle-ci s’adressait à ceux et celles qui « croient encore en l’égalité entre les hommes et les femmes ». Sous-entendu? Si t’es contre la charte, t’es contre l’égalité. D’autres me disaient que je ne pouvais pas me dire féministe et en faveur du port du voile. Ironiquement, ce sont tous des hommes qui ont remis mon féminisme en question.

D’abord, ce n’est ni le gouvernement, ni une poignée d’hommes qui va me dire comment être ou ne pas être féministe. L’idée même que ce genre de manipulation puisse être faite devrait susciter notre méfiance, méfiance étant un euphémisme. Le féminisme ne s’érige pas par la voie de l’idéologie dominante, il est la voix des opprimées qui se libèrent. Ensuite, il n’y a pas une façon d’être féministe, il y en a plusieurs. Et il faudrait arrêter de croire au stupide stéréotype occidental selon lequel une femme voilée est nécessairement battue et soumise. C’est absurde. Des féministes musulmanes, intelligentes et combatives, qui ont choisi de porter le voile par elles-mêmes et pour elles-mêmes, y en a à la pelle. C’est juste qu’on se ferme les yeux et qu’on s’étouffe avec nos préjugés.

Toutes les grandes religions monothéistes sont misogynes. Dans le mariage catholique, la femme jure traditionnellement obéissance à l’homme. Faut-il remettre en question le féminisme de toute femme mariée et catholique sous prétexte que l’anneau qu’elle porte au doigt est un signe de soumission?

Bien sûr que non, mais…. « Si t’es contre la charte des valeurs québécoises, t’auras beau être agnostique, on s’en saint-ciboire dans le fin fond du tabarnaque, parce que la charte, elle défend le principe d’égalité hommes-femmes, pis toi, t’es contre la charte, fait que t’es contre l’égalité hommes-femmes. »

Voilà, précisément, le genre d’instrumentalisation qui me dérange. D’autant plus que c’est une vision colonialiste de ce que devrait être l’égalité entre les hommes et les femmes. Car ce n’est pas sauver une femme, que de lui arracher son voile de force sous prétexte que sa religion la soumet et pour mieux l’intégrer, c’est la soumettre à une autre forme de domination. Et ça, si c’est du féminisme, c’est du féminisme de bas étage en ti-péché.