BloguesEssais de néantologie appliquée

Mélodrame médiatique ou pourquoi j’en ai rien à battre du trouble.machin.ca et que je continuerai à bloguer au Voir

« The medium is the message. » Marshall McLuhan

Depuis quelques semaines, on me sollicite l’opinion de toutes parts. MCLC, vous bloguez au Voir, que pensez-vous de Gab Roy ? Puis, de Gab Roy au Voir ? Et cette patente, là, le trouble.voir.ca, qu’en pensez-vous donc ? Vous devez bien avoir une opinion ? Révoltez-vous, scandalisez-vous, mais faites quelque chose, de grâce ! C’est odieux, comment pouvez-vous, vous, une féministe, bloguer aux côtés de l’horreur incarnée ? Comment pouvez-vous dormir sur vos deux oreilles en endossant la misogynie de ce sombre personnage qu’est Dominic Pelletier à qui votre média a tendu le micro ? Et votre intégrité dans tout ça ?

Ouf.

Il y a une multitude de problèmes d’interprétation dans toutes ces questions que je reçois un peu comme un mal de tête. Et si certains, certaines, en arrivent à percevoir le Voir comme un média à la ligne éditoriale homogène, tenu d’une main de fer par un Simon Jodoin despotique, conspirant pour dominer le monde à grands coups de clics ; je ne peux qu’être perplexe. Pour la nostalgie d’un temps révolu des autres, je n’y peux rien. Pour l’émotivité avec laquelle on voudrait nous rendre tous et toutes coupables par association, j’ai un petit haussement d’épaules. En fait, j’ai bien écouté tout le monde et je trouve tout ce brouhaha un tantinet ridicule.

Pour être bien franche, depuis un certain temps, j’ai du mal à écrire. En partie parce que le scandale domine la réflexion et que l’espace médiatique ressemble davantage à une vaste crise d’urticaire sociale qu’à un espace de dialogue. McLuhan avait raison de dire que « les effets d’un médium sur l’individu ou sur la société dépendent du changement d’échelle que produit chaque nouvelle technologie ». (McLuhan, 1964, p.37) En ce sens, l’apparition du blogueur dans les médias traditionnels adaptés au web 2.0 me semble symptomatique d’un flux faussement informatif, faussement réflexif, hautement instantané, de réactions qui s’équivalent toutes — infiniment solubles les unes dans les autres —, au sein une arène médiatique qui s’apparente plutôt à un combat de coqs sur Facebook. Le personal branding ayant pris le pas sur la notoriété, l’information s’est éclipsée derrière un théâtre de personnalités où le blogue médiatique, enchevêtré dans les réseaux sociaux, n’a plus rien à envier aux reality show.

J’ai du mal à écrire, donc, en partie parce que je suis toujours prise dans le déchirement entre la critique du système et la conscience d’être un produit du système. Je n’ai pas la science infuse, mais pour s’arracher du système réellement, faudrait-il juste se taire ou simplement tâcher de résister (à l’intérieur même, s’il le faut) ? Peut-on offrir un lieu de partage et de dialogue au sein d’un des multiples avatars du spectacle ? Je persiste à bloguer parce que j’ai la naïveté de croire que oui.

La nostalgie des années ’90

Que regrette-t-on, dans ce vieux Voir, au juste ? Notre souvenir d’une adolescence meurtrie par l’embourgeoisement de ces idoles qu’étaient Dutrizac, Martineau, Barbe et autres ? Pour ma part, je ne regrette rien. Et quand je lis certains blogues du Voir d’aujourd’hui, tenus par des gens qui maîtrisent en profondeur les enjeux qu’ils évoquent — et ce, que je sois d’accord ou non avec leurs propos —, je n’ai pas l’impression d’avoir quoi que ce soit à envier à une époque lointaine. Je ne dis pas que tous les blogues du Voir sont merveilleux et que tout va pour le mieux au pays des arcs-en-ciel en chocolat. Ça ne signifie pas, non plus, que j’endosse tout ce qui se dit sur voir.ca. Absolument pas.

Mais bon, la réalité médiatique change. Les médias changent. Leur langue change : de la langue publicitaire aux pointes de P.R, les médias ont pris le virage de la langue opérationnelle de l’informatique, la langue de la « miniaturisation informatique de la vie quotidienne ». (Baudrillard, 1981, p.134) Peut-être en sommes-nous même rendus à la langue hystérique d’une virtualisation à outrance qui cache la mort du Réel ?

Médias, responsabilité sociale et culpabilité par association

Les médias ne carburent pas tant à la culture qu’à son industrie. La culture web en copie les codes. J’ai parlé des webstars ailleurs [1], mon manque d’intérêt n’a pas diminué depuis. Et si Gab Roy ne me fait pas rire, l’industrie de l’humour ne me fait pas plus rire. Je ne suis pas le public cible, faut croire.

Ceci dit, suis-je étonnée qu’un média culturel élabore une stratégie pour créer un espace à la culture web ? Pas tellement, non.

Cependant, faire la combinaison d’idées selon laquelle : le Voir endosse les propos de Dominic Pelletier parce qu’interrogé par Gab Roy sur une de ses plateformes, donc MCLC, parce qu’elle blogue au Voir, est coupable par association de propos racistes et misogynes est aussi absurde que de penser que je me mettrais à écouter du Ariane Moffatt si quelqu’un du journal en faisait une bonne critique. Je sais, ça n’a pas la même connotation, mais ce que j’essaie de dire c’est que la blogueuse n’est pas le média et aussi que le média n’est pas ce qu’il expose.

On peut préférer croire qu’un Dominic Pelletier n’existe pas. Ça, je le comprends. On peut le préférer muselé dans un coin ou encamisolé à Pinel. On peut questionner la responsabilité sociale d’un média qui met en lumière de tels propos, mais ça a ses limites. On peut aussi croire que ces propos méritent d’être exposés parce que c’est l’exposition qui les mettra à nu devant la critique. On peut croire qu’exposer est, en soi, un acte de dénonciation et s’en remettre à l’intelligence du public.

Aussi, le Téléjournal m’apparaît comme un continuel film d’horreur quotidien. Quelle est donc la responsabilité sociale du Téléjournal quand il me montre des cadavres d’enfants en territoire de guerre ? Quelle est la responsabilité sociale du Téléjournal qui me montre le spectacle de la catastrophe avec tout le sérieux du droit à l’information ? Et comment diable s’articule la responsabilité sociale de M. Météo dans tout ça ?

En somme, le questionnement et la réflexion sont sains, mais l’agressivité avec laquelle on voudrait nous rendre tous et toutes responsables de tout ce qui se dit, se fait ou est éclairé par un média auquel on collabore a quelque chose de surréaliste.

Finalement, quand on enlève tout le flafla, il semble que la critique de la plateforme trouble.voir.ca vise surtout Gab Roy. Pour une erreur qu’il a admise, pour laquelle il s’est excusé, qu’il a tenté de réparer, il semble de bon ton d’en faire un monstre. J’ai déjà vu pire qu’une lettre fictive exprimant un fantasme fictif comme violence. Sans m’éterniser sur la question, j’ai l’impression qu’on en fait le bouc émissaire d’une violence quotidienne tristement étouffée dans le silence. Quand cette critique vient de Sophie Durocher ou Lise Ravary, qui bloguent aux côtés des propos non moins douteusement sexistes d’un Michel Beaudry, ça devient vaudevillesque de contradictions.

Or donc, on me presse de questions à savoir mon opinion, à savoir si j’aurai « l’intégrité » programmée de claquer la porte. Je trouve que, somme toute, il y a bien du monde pressé que je me taise. Bien du monde, aussi, pressé de regarder le Voir couler comme la chronique d’une mort annoncée par une fausse pudeur selon laquelle il y aurait un écart hiérarchique entre le spectacle et le spectacle 2.0, le bon et le mauvais spectacle. Bien du monde pressé de voir s’éteindre un média qui s’offre comme un lieu d’informations et de réflexions alternatives (par endroits, du moins).

Ma réponse sera peut-être plate, mais voilà : prendre part à un média de diffusion aussi large, c’était déjà, pour moi, une position bien paradoxale. Alors, voilà, tout ce tapage m’indiffère.

Notes :

[1] Un paragraphe à quelque part ici.