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Êtes-vous un privilégié?

blingbling

J’ai 32 ans et je viens d’être l’une des centaines de victimes des compressions à Radio-Canada. Ma blonde termine ses études. Nous sommes loin, encore, de l’étape «avoir-des-enfants», avoir une maison, avoir l’air de jeunes gens professionnels. Pas que j’y tiens, mais à cet âge, plein de gens autour de nous en sont là. Puis à mon âge, mes parents avaient déjà deux enfants de 10 ans et 7 ans.

Et même si la compression est impersonnelle, même si ce n’est pas moi personnellement qui a été pointé du doigt et mis à la porte, que j’étais simplement le dernier arrivé comme animateur, on se remet en question. On regarde autour de nous, ce qu’on a fait, ce qu’on peut faire, ce qu’on a envie de faire… On brasse les cartes dans notre tête en tentant de voir un chemin se dessiner.

Une partie de moi se dit que je ne l’ai pas toujours eu facile. Que je suis encore victime des aléas de la vie, que le contexte me joue encore un tour.

Que fait-on pour se changer les idées quand on se pose trop de questions? On niaise sur Internet. On voit passer un test. On sait que c’est con, mais ça fait notre affaire.

Voici quelques résultats: si j’étais un film de Tarantino, je serais Pulp Fiction, un mélange de tous les genres. Si j’étais un genre musical, je serais Motown, la bande sonore du combat pour les droits civiques. Si j’étais une ville, je serais Londres, pour son côté underground mais qui ne se la joue pas trop cool. Et si j’étais un personnage de Games of Throne, je serais le naïf mais vertueux Jon Snow, ce qui m’a un brin déçu.

Ces tests ne reposent pas sur grand-chose. On est souvent qu’à une réponse d’être John plutôt que Paul à « Quel Beatles êtes-vous? ». Bien souvent, on ne sait pas trop quoi répondre à la question « Pick a flower » tout en se demandant ce que vient faire cette question-là.

Un de ces tests m’a toutefois surpris. Derrière son humour se cache en fait une critique sociale, mais surtout, une leçon d’humilité : « How privileged are you ? »

Immédiatement, comme sûrement la plupart des gens qui l’ont commencé, d’autant plus dans mon état d’esprit, je me suis dit que je ne devais pas vraiment l’être. J’en ai bavé à plusieurs reprises et ma résilience clenche les chats dans leur nombre de vies.

Personne ne m’a payé mes (minimes mais coûteuses) études et je n’ai pas eu de bourses. J’ai pendant plusieurs années fait moins de 10 000$ par année et j’ai déjà été un bénéficiaire de l’aide sociale. J’ai dû m’endetter. Mon dossier de crédit traîne encore ce lourd passé. J’ai déjà sauté des repas pour payer mon loyer, même si ce n’était que des sandwichs au beurre de peanut. J’ai usé mon linge jusqu’à la corde. Ma famille n’a pas toujours eu le câble. Je n’ai jamais pu voyager à l’extérieur du pays. Comme obèse, j’ai subi plusieurs ragots en plus de toujours devoir en faire plus professionnellement pour prouver ma valeur.

Dans mon désarroi du moment, j’avais oublié certains trucs beaucoup plus pernicieux, plus terre à terre.

« Êtes-vous un Blanc? » Oui, donc je n’ai jamais dû subir le racisme. « Êtes-vous un homme? » Oui. Pas de sexisme, pas de dénigrement, pas de harcèlement. « Êtes-vous hétérosexuel? » Oui. Je ne me suis jamais fait battre parce que j’étais une tapette. Je n’ai jamais eu à cacher qui je suis. Jamais été renié par personne pour mon orientation sexuelle. Aucune religion ne me pourfend.

Et ça continue : je n’ai pas de handicap majeur ni de maladie mentale, et je suis membre d’aucune communauté caricaturée, ridiculisée ou méconnue, qu’elle soit culturelle ou religieuse.

J’ai eu envie que plein de gens autour de moi fassent ce test. Pas pour se rendre compte qu’au Québec, finalement, on est en général assez privilégié malgré nos revers et nos obstacles personnels, ça, c’est assez évident déjà, mais pour que les gens puissent se mettre dans la peau des autres, un concept qui semble trop souvent abstrait pour bien des gens.

Pour se mettre à la place de cette personne à mobilité réduite qui n’a pas de rampe d’accès, de cette famille qui va avoir comme voisin une mine à ciel ouvert, de cette fille qui subit les blagues machistes de ses collègues, du travailleur qui vient de perdre son emploi, de l’autochtone que tout pousse à décrocher.

Serais-tu capable de voir le monde autrement que selon tes goûts, tes expériences ou tes intérêts? Si tu subissais les conséquences, ou si tu n’avais pas les bénéfices, aurais-tu les mêmes idées? Et si c’était toi qui étais défavorisé?

Ça fait un peu moral à cinq sous, mais on oublie facilement ces discriminations. Et pour une fois que ce n’est pas juste stupide, sur Buzzfeed.

Le monde autour de nous a souvent l’air de l’avoir facile. Plus que nous. Mais les revers, les combats, les injustices, ça ne paraît pas, ça ne fait pas de cicatrice au visage. Et dans un 5 @ 7, tout le monde sourit. Au boulot, «ça va bien», toujours. Pis toi aussi, tu as l’air de l’avoir facile. Comme moi.

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Ceci est mon premier blogue sur Voir. J’ai longtemps eu le blogue La Barbe sur BangBang, le petit frère. Je suis journaliste, animateur et réalisateur et après plus de 5 ans sur la Côte-Nord, je prépare un retour dans ma ville natale, Québec. Je ne ferai pas toujours des billets à saveur plus personnelle comme ça. Je jaserai sûrement plus de musique, de bande dessinée, d’enjeux sociaux… Parce que j’aime ces sujets-là.