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L’humour gras

Un article (La stigmatisation des personnes obèses banalisée) a particulièrement attiré mon attention ce matin. Il pointait du doigt un phénomène que je remarque depuis déjà un certain moment: l’obésité est un sujet dont on peut se moquer devant tout le monde sans soulever l’indignation générale, contrairement aux blagues racistes, machistes ou religieuses.

On peut y lire: «Le ton employé pour parler de l’obésité et l’importance accordée à cet enjeu de santé publique mènent parfois à la stigmatisation de ceux qui n’affichent pas un poids santé. En milieu de travail et dans les écoles, certains sont même intimidés sans que personne n’intervienne, ce qui en fait un des derniers préjugés socialement acceptables.»

Je suis un obèse morbide et pas besoin que quelqu’un me traite de «gros porc» pour me sentir jugé, le préjugé et la discrimination rôdent toujours, comme un courant de fond. Il y a les discussions des collègues sur les efforts qu’ils font pour perdre cinq livres, il y a les commentaires sur les gros célèbres, il y a les pas très subtils «Ark! Est tellement laide! As-tu vu comment elle est grosse? »

Parfois, des gens autour de moi y vont de blagues ou de dénigrements d’obèses qu’ils ont rencontrés, comme si moi, ça ne pouvait m’affecter. Je me sens comme cet «ami noir», qui, au milieu d’un groupe de Blancs qui se mettent à faire des blagues racistes et qui, à la fin, se fait dire « Toi, t’es pas comme ça, mais avoue que en général, les noirs…»

Sérieux? Tu penses vraiment que je ne me sentirai pas visé quand tu te mets à rire d’un gros à côté de moi?

On s’entend, je crois qu’on peut rire de tout, même qu’il faut rire de tout, mais il y a la façon, il y a le ton, il y a la fréquence et il doit y avoir une certaine intelligence.

«Selon une étude menée en 1961 puis répétée 40 ans plus tard, dévoilant des résultats encore plus « dévastateurs », les enfants d’âge scolaire aimeraient mieux avoir un ami en béquilles ou sans mains qu’un ami obèse», peut-on lire aussi dans le même article.

Un gros semble être automatiquement une merde, parce que c’est sûrement parce qu’elle est trop conne pour ne pas être plus en forme, en meilleure santé, plus comme tout le monde.

Hier, un autre article a attiré mon attention: «Le ministre Barrette se dit victime d’intimidation». Et comment!

Je ne soulignerai même pas tout ce qui se dit sur lui sur les réseaux sociaux et ici et là au coin d’une rue, autour d’une bière ou à côté de la machine à café. Le cas du ministre Barrette démontre et résume bien la stigmatisation de l’obésité dans la société.

Prenons en exemple la une du Journal de Montréal du 2 avril 2014: «Barrette gras dur».

gras dur

J’étais stupéfait par ce titre. Un journal qui se veut sérieux (malgré les critiques et les railleries, c’est son but quand même) fait un jeu de mots sur son obésité pour résumer une situation? Personne n’a protesté! Il y a eu quelques soupirs, mais surtout des rires.

Moi qui admire les caricaturistes, ils me déçoivent constamment avec le ministre Barrette. Lui qui offre tant de déclarations ridicules, lui qui change d’avis quand ça l’arrange, lui qui a un tempérament bouillant, lui qui offre plusieurs angles d’attaque, les caricaturistes ne font que des blagues sur son poids.

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Imaginez un instant que les caricatures sur Maka Kotto ou Yolande James tournent qu’autour de la couleur de leur peau. Imaginez que chaque fois que Roméo Saganash est caricaturé, on le voit avec un chapeau de plumes et un tomahawk. Ça ne serait pas toléré, il y aurait des plaintes, des appels à un respect. Les réseaux sociaux s’enflammeraient d’indignation! (le temps d’une journée, mais bon, c’est son rythme habituel, ça.)

Rire d’un gros, toutefois, c’est juste normal et drôle. En riant de l’obésité de Gaétan Barrette, on ne rit pas de lui, on rit des obèses en général. On manque complètement la cible.

La question n’est même pas si ça blesse ou non, mais la banalité, voire la normalité et le réflexe, qu’il y a de tourner au ridicule tout surplus de poids.

Comme j’ai dit plus haut, je suis un obèse morbide. Et même si depuis un an j’ai perdu 57 kilos, même si je me suis pris en main, la fierté qui pourrait se dégager par ce combat quotidien fait aussi face, tous les jours, à cette stigmatisation. Comme si je ne devais pas être fier de mes petites victoires, mais que je devrais avoir honte d’avoir été et d’être encore ce que je suis, un obèse, et que si tout le monde rit de moi, je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même.