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En direct de Montréal (ou en tout cas, pas de Sept-Îles, ni de Rimouski ou de Saguenay)

Les régions vivent vraiment un cauchemar ces temps-ci. C’est intense depuis cet automne, mais ces nouvelles tombent déjà depuis un moment, on n’a fait qu’accélérer le rythme des mauvaises nouvelles.

On vient d’apprendre que les Téléjournal de l’Est-du-Québec, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, de l’Estrie et de la Mauricie sont coupés de moitié. De 60 minutes, il en restera 30.

Pour avoir travaillé sur la Côte-Nord, pour Radio-Canada, je sais que cela signifie que les Nord-Côtiers verront parler d’eux peut-être une fois durant ce bulletin de nouvelles, en excluant la météo. Sur 30 minutes, il reste environ 22 minutes pour l’émission, une fois les publicités enlevées. Puis vient l’introduction, la météo, la conclusion, les arts et spectacles… il ne reste plus beaucoup de temps d’antenne pour des reportages d’information. Et je ne dis pas ça contre les arts et spectacles, au contraire, je dénonce qu’il en ait si peu, justement. Un reportage par jour pour couvrir le milieu culturel de trois énormes régions, c’est absurde. Si bien que la représentativité régionale ne passe pas beaucoup par là.

Donc, soyons gentils et disons qu’il reste 15 minutes d’information en ondes, par jour, pour trois régions. Les journalistes de la Gaspésie, du Bas-Saint-Laurent et de la Côte-Nord devront se battre pour avoir droit à deux topos dans ce bulletin, parce qu’il n’y a pas de place pour 6 reportages.

Au moins, ils sauront s’il va faire beau demain.

Nous sommes à un point où le réseau public, financé avec nos taxes comme aiment le dire certains, fait le travail similaire à celui du réseau privé – et parfois parce que le CRTC l’oblige à faire ce minimum -, il y a un problème. Leur mission n’est pas censée être la même.

Faire de l’information, ça coûte cher. Ce n’est pas rentable pour la société d’État, mais c’est sa mission. Si Radio-Canada diminue sa couverture régionale, qui le fera?

Le Soleil remerciera ces prochaines semaines ses correspondants de l’Est-du-Québec. Aussi bien dire La Presse du coup, convergence oblige. Radio-Canada qui réduit son temps d’antenne suivra sans aucun doute de compressions dans les salles de nouvelles. Il y a eu la fermeture de certains journaux régionaux.

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Il y a quelques années, je m’offusquais de l’absence des régions dans les bulletins nationaux. Je me souviens encore très bien lorsque la plus grosse nouvelle économique non seulement de la journée, mais de la semaine et peut-être même du mois, au Québec, avait eu lieu sur la Côte-Nord, elle avait dû se contenter des sections économiques de La Presse et du Téléjournal national. Malgré tout, la montréalisation des médias se défend, ou s’explique facilement… On peut l’accepter aussi lorsque localement, au moins, l’information est là.

Depuis ce printemps, ce sera près de 8 heures de contenu régional qui disparaît. Et encore, si je remontais à plus loin, ces émissions régionales n’étaient pas «Est-du-Québec», mais «Côte-Nord», «Gaspésie» et «Bas-Saint-Laurent». Et avaient plus d’heures.

Donc, dès l’automne prochain, la représentativité régionale se résumera avec les émissions du matin et du retour à la maison, sur ICI Radio-Canada Première, et le Téléjournal de 30 minutes, sur ICI Télé. C’est peu. Très peu. Tout le reste proviendra du réseau. Absolument tout. Quand on demeure à Montréal ou à Québec, ou dans ces périphéries, cette centralisation paraît moins. Mais en région comme l’Estrie, la Mauricie ou la Gaspésie, c’est fou comme on peut se sentir loin!

Imaginez, amis de Montréal, que 19h par jour, sur ICI Radio-Canada Première, une fois sur deux, ce dont vous entendez parler, ce sont des spectacles de Toronto, des problèmes de Toronto, des invités de Toronto, des événements de la grande région de Toronto.

D’ailleurs, le mystère de la radio de Québec réside en partie là-dedans. Les gens de Québec ont le même réflexe que tous les autres, ils veulent un média qui parle d’eux. Des animateurs l’ont bien compris et jouent sur cette idée que ce dont ils parlent, que la manière dont ils parlent, ça ne vient pas d’ailleurs, donc de Montréal, mais de Québec, par des gens de Québec, pour des gens de Québec.

Lorsque je réalisais l’émission du matin sur ICI Radio-Canada Première Côte-Nord, certains patrons se demandaient pourquoi on n’arrivait pas à s’imposer plus dans les parts de marché. La réponse a toujours été évidente: le monde de Baie-Comeau ne veut pas tant entendre parler des affaires de Havre-Saint-Pierre et vice versa. C’est pour ça que les deux radios privées de Sept-Îles sont si fortes dans le marché de Sept-Îles, elles ne parlent que de Sept-Îles, comme la radio communautaire de Havre-Saint-Pierre ne parle que de la Minganie et ainsi de suite. La volonté des gens de se faire parler d’eux est trop forte.

Ce n’est pas un problème d’ethnocentrisme, de repli sur soi-même ou d’un manque d’ouverture à l’autre, ce n’est simplement pas suffisant pour la majorité du monde. Pas assez hyperlocal, pas assez national.

Même si tu gardes un ratio de sujets quotidiens touchant le plus de lieux possibles de la Côte-Nord, même si dans les trois heures de l’émission tu présentes un sujet sur Havre-Saint-Pierre, deux sur Sept-Îles, un sur Baie-Comeau, un sur Blanc-Sablon, même si on est très «Côte-Nord», il demeure qu’à l’exception des dix minutes sur Baie-Comeau, les 170 autres minutes sont sur un autre coin de la grande Côte-Nord. Et à l’autre poste, tu es certain de tomber sur un moment de ta région, sur les 15 minutes que tu vas l’écouter.

Un jour, en entrevue, Hubert Lacroix me disait, avec une conviction à faire peur, que la Côte-Nord, la Gaspésie et le Bas-Saint-Laurent étaient la même région. Et quand je lui disais que Sept-Îles était plus proche de Saguenay et même de Québec que de Gaspé, il me répondait que le fleuve servait de connexion aux trois régions, même s’il fait plus de 100 kilomètres de large à certains endroits, même s’il devient une mer, dans sa tête, c’était une même région.

J’en reviens à cette diminution des voix régionales. C’est un cercle vicieux. Moins de représentativité, moins d’intérêt… Moins d’intérêt, moins de «justification» de tenir le volet régional.

Ce sera quoi la prochaine étape?