Un des runnings gags à propos de Sam Murdock est sa babyface. Encore récemment, dans une conversation où j’étais impliqué malgré moi, il s’obstinait sur le fait qu’il n’était pas imberbe et qu’il pourrait avoir une barbe comme la mienne.
Au-delà de la pilosité, Sam a surtout une énergie plus proche des adolescents que des trentenaires, dont il fait pourtant partie. Derrière sa passion se cache néanmoins un vétéran de la scène musicale avec un regard de vieux sage!
Extraits d’une longue entrevue menée avec lui à la fin novembre, sur les ondes de CKIA 88,3 FM. L’entrevue complète s’écoute par ici ou en bas de ce texte.
Mayo : On arrive à la fin du 10e anniversaire de P572…
Sam : Oui, ça va vite!
C’était au départ le projet de deux amis…
Et ce l’est toujours. L’équipe s’est agrandie, on a des collaborateurs. Selon le registre des entreprises, moi je fais la direction artistique et mon ami Sébastien Leduc fait la direction de production, mais on fait tout à deux. Quand on a voulu résumer P572, on s’est dit que c’était deux amis qui sortaient des disques et des livres ensemble depuis 2004.
C’était votre motivation au départ et c’est encore ça.
Oui! Mais c’est ça qui est magnifique, on n’a jamais fait de plan d’affaires. Nous on a commencé dans St-Roch il y a dix ans. On a fait un spectacle, deux spectacles, trois spectacles, pis on a sorti un disque pis tranquillement, c’est devenu dix ans. Une fois par année, on se demande si c’est plus plate ou plus le fun ce qu’on fait, souvent c’est plate, mais c’est plus le fun souvent et on continue.
Et vous n’avez pas de contrats… les artistes viennent, partent, reviennent…
Je m’inspire de maisons comme Dischords, des maisons un peu plus punks, où ils n’ont réellement pas de contrats. C’est des amis, si quelqu’un veut faire un autre truc ailleurs, on ne va pas les retenir.
Il y a 10 ans, il y avait une mouvance, le DIY était très présent. Dare to Care est né en 2000, Grosse Boîte 2006, Slam Disques en 2002, Indica a commencé à s’imposer davantage à cette époque-là aussi… Inconsciemment, cette vague vous a inspiré?
J’ai été inspiré par tous ces labels-là, Grenadine Records aussi, Alien 8, Constellation, des labels qui m’inspirent parce qui se donnent corps et âmes à faire des disques. À l’époque, j’habitais à Halifax…
À Halifax la scène était très dynamique aussi à cette époque-là.
Oui, mais la meilleure scène est celle dans laquelle tu gravites quand tu as 20 ans. Moi quand j’étais à Halifax, le monde trouvait que la scène cool était finie. Pour moi, vivre à Halifax, ça a changé ma vie, même si la scène était finie, c’était magnifique.
Je suis revenu à Québec motivé, un peu fou, un peu comme le monde du Pantoum présentement et que je trouve magnifique. Eux, il y a 10 ans, ils avaient 10-15 ans. Là, ils arrivent, ils sont super motivés et il n’y a rien qui peut les arrêter.
Les trucs changent et quand tu as 20 ans aujourd’hui, tu n’es pas nostalgique d’il y a 10 ans. Moi je n’ai jamais connu la Fourmi Atomik ou Le D’Auteuil. J’ai connu la fermeture de l’Arlequin, du Kashmir. Quand tu as 20 ans aujourd’hui, tu t’en fous, tu vas au Cercle, tu vas à L’AgitéE. Tu vis ta jeunesse.
Il y a un souci du visuel qui est important chez P572. Ce n’est pas seulement un produit, c’est aussi une œuvre d’art.
Je ne fais que penser à ça, tout le temps. Je parle toujours de pochettes de disque. On me demande si le disque est bon, je dis que la pochette est magnifique ou vraiment laide. Je viens de travailler sur un disque live, à Tokyo, je pense que j’ai passé six jours en studio pour le mixer et six mois pour faire la pochette!
Malgré Internet, les téléchargements, où la relation avec les pochettes a changé, c’est encore important?
Je pense que oui. Le visuel reste, même si c’est du «digital art», télécharger un livret, en PDF, ça se fait. C’est un peu ma montée de lait ces temps-ci. Les artistes d’une certaine notoriété qui ne font pas cet effort-là. Quand ta première impression c’est 100 000 exemplaires, tu n’as aucune raison pour que ton visuel ne soit pas exceptionnel. Je trouve ça débile que la moitié des groupes n’aient pas quelqu’un qui fait un livret numérique.
On n’arrête pas de dire que ça va de plus en plus mal dans l’industrie de la musique. Comme artisan d’un label, qu’en penses-tu?
Le monde répète ce qu’il entend. Ce n’est pas vrai qu’un vinyle sonne mieux qu’un mp3. Il n’y a pas une industrie qui va bien sur la planète. Ça marche ou non. Tu ne vas pas te dire que tu te lances en restauration parce que McDo ça pogne. On ne va pas faire des tablettes québécoises parce que Apple fonctionne. Quand tu te lances à ton compte, il n’y a rien qui est facile.
On est dans l’histoire de l’humanité la génération qui écoute de la musique 24h sur 24. Tout le monde a ses écouteurs blancs branchés sur son iPod qui a 50 000 chansons en tout temps. Tu peux être chez vous, pas présentable, et avoir accès à toute la musique de l’humanité. La musique ne va pas mal. L’industrie, oui, c’est différent. Oui il y a une restructuration, oui c’est différent présentement, mais à la petite échelle que nous on produit, ça ne nous affecte pas tant que ça.
Parlons de la musique de Sam Murdock. Première fois que je t’ai vu, c’était avec (swedish) Death Polka, en 2004… C’était une bibitte, ça!
C’est 100% bibitte. 100% bizarre et improbable. Pendant que j’étais à Halifax, j’ai halluciné ce groupe-là et je suis revenu à Québec. J’ai écrit des chansons sur la mort, 30 chansons en 30 jours. J’en ai gardé 6 pour faire un mini album et je voulais du violoncelle sur la dernière. Je connaissais une seule personne à Québec qui jouait du violoncelle, Guillaume Lizotte. Guillaume et moi on s’est rencontré dans notre passion improbable pour Tori Amos et Megadeth. On aimait aussi Godspeed, Steve Reich, la musique répétitive. Tout ça s’est marié sur album. Étrangement, le monde a aimé ça, même si c’est difficile à gober. On était chanceux. On jouait au Bal du lézard et le monde écoutait, sans faire de bruit. C’est pas de la musique de bar!
Où en est le projet aujourd’hui?
Le projet n’a jamais arrêté. Cette année, on a sorti «38 minutes», qui est un live capté en 2006, au festival OFF de Québec. Poulet Neige, dans leur Liste de Noël de cette année, ils ont choisi cet album-là. Ils auraient pu prendre n’importe quel album de P572, mais c’est lui qu’ils ont pris. Je les trouve vraiment weird.
Je sais que tu écoutes vraiment de tout. Verrons-nous un jour Sam Murdock faire de la pop?
J’en écoute beaucoup. Le dernier Shakira est un de mes disques de l’année. Ou Taylor Swift. J’aime profondément la musique pop comme une jeune fille de 16 ans. Je ne sais pas si j’ai la capacité. Je ne sais pas si j’ai ça en moi de vouloir faire ça. Je pense que je suis limité d’être un Nord-Américain Blanc. Quand je prends ma guitare, ça sonne toujours indie rock. Je ne pense pas que je ferais un album country.
Ce que je fais avec P572, ce n’est pas contre l’industrie, ce n’est pas contre Céline Dion, ce n’est pas par frustration, on fait ce qu’on a à faire. On fait quelque chose de différent. J’ai toujours voulu imprimer les t-shirts que je porte et sortir la musique que j’écoute.
Je n’ai aucun plaisir coupable. Il n’y a personne qui devrait arriver chez vous et t’insulter à cause de ta musique. Comme dans «High Fidelity», le gars juge la fille selon ce qu’elle écoute. Tabernache! La vie est assez plate en général, s’il y a une musique qui te fait vibrer, il n’y a personne qui devrait te convaincre que ton band préféré est poche.
Je l’ai évoqué, l’art visuel est important pour toi. Un jour, aura-t-on une exposition signée Sam Murdock?
Il n’y a pas grand-chose dans la vie qui ne me fascine pas. Pis ce n’est pas parce que je veux tout faire. Mais j’ai trop d’amis qui ont trop de talent et tout ça m’inspire. Je vois un film et j’ai envie de faire un film. J’écoute une chanson et j’ai envie de faire une chanson. Pis j’ai envie de faire de la peinture, du dessin, de me salir les mains. Je fais toujours des dessins sur tout ce que j’envoie par la poste, sur tout ce qui traîne… Tout le monde qui me connait de ma jeunesse pense que je dessine encore. Je travaille sur une bande dessinée avec Pierre Bouchard.
Te vois-tu faire autre chose dans la vie?
Non… Je vais faire ça toute ma vie. Il y a comme un feu sacré. Faut tu fonces sans te poser trop de questions.
Pour écouter l’entrevue au complet, suivre ce lien ou écouter directement ci-bas.