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Rêver de gagner une voiture

Il y a quelques années, je suis allé avec des amies à la messe de minuit de l’église St-Roch. Une décision prise après quelques consommations, dois-je préciser, puisque ce n’est franchement pas un lieu naturel pour nous.

Plusieurs circonstances ont alimenté un fou rire grandissant, dont les consommations, mais aussi le sermon du prêtre. Il voulait donner de l’espoir à ses fidèles, parce qu’eux aussi peuvent aspirer au bonheur. Et ce bonheur, il se cache dans des trucs simples, mais aussi dans les rêves les plus fous, comme gagner à la loterie, gagner une voiture ou un voyage. Sur le coup, c’était difficile de ne pas rire sur un tel punch, après un si grand discours maladroit sur le bonheur.

Depuis, je me demande si c’était aussi drôle. Ou si nous riions pour les bonnes raisons.

Ce discours me trotte dans la tête depuis quelques jours, alimenté par différents événements, importants ou non. Des bouts de ficelles plus ou moins longues qui se croisent sans tout à fait se nouer. Elles dansent ensemble dans ma tête.

Pour Noël, ma mère m’a acheté un gratteux, truc que je ne m’achète jamais. Gratte, gratte, et non, je n’aurai pas de «1000$ par semaine à vie». Comme toujours, la conversation dérive sur ce qu’on ferait bien avec ce montant-là. Ou sur le gros lot du billet de loterie que ma mère s’était acheté en même temps. Conversation récurrente au même rythme que ma mère achète des billets de loto. Je sais pas mal ce qu’elle ferait déjà avec un, deux ou quinze millions de dollars.

La vérité, sauf payer mes dettes ou changer ma voiture pour une hybride, mettons, je ne sais pas trop. Ça ne serait qu’un coussin qui serait là. Je voyagerais plus (ce qui est un euphémisme puisque je ne suis jamais sorti du Canada). Mes collections de bandes dessinées et de vinyles grossiraient assurément, mais sinon? Rien. Je resterais sûrement dans mon loyer – je ne serais pas pressé d’acheter un condo en tout cas.

Je me permettrais peut-être de retourner aux études, ce que je n’ai jamais pu faire. Je me permettrais de prendre un emploi que j’adore même s’il est peu payant, quoique je le fais déjà un peu. Peut-être que je me concentrerais sur le livre que j’essaie d’écrire.

J’ai eu la chance d’être à la fois très pauvre et confortable. Les années où j’ai eu un bon revenu, mon seul bonheur était cette délivrance du stress budgétaire: le casse-tête de choisir ce que l’on paie et ce que l’on ne paiera pas, la panique à l’idée de devoir changer ses freins, le questionnement du cadeau à l’anniversaire de sa soeur.

C’est un stress terrible, en fait. Un poids toujours présent. Des amis proposent un 5 à 7? Subtilement, tu calcules si tu peux te le permettre avant d’accepter. Tu aimerais retourner aux études pour améliorer ton sort, mais tu te demandes si tu es capable de te payer un cours à l’université avec ton salaire minimum. Ta meilleure amie se marie à l’autre bout de la province, mais tu n’as pas les moyens d’y aller. Tu ne cherches pas la meilleure recette possible sur Ricardo, tu te demandes si tu pourras manger.

Tu as rarement des avantages sociaux quand tu es au salaire minimum. Le dentiste prend le bord, même si tu es dû pour un traitement de canal. Certains médicaments aussi peuvent attendre. Entre mettre 50$ sur une épicerie ou sur un médicament, quand il te reste 60$ pour la semaine, le choix peut être déchirant. Malgré les filets sociaux en place (et que le gouvernement veut réduire), la santé demeure un luxe pour plusieurs.

Avoir une famille épanouie, trouver l’amour, même, avoir un jardin ou un chalet dans les Laurentides… c’est très abstrait quand tu passes tes journées à compter tes cennes noires cinq sous pour t’acheter une pinte de lait ou des cigarettes. Ça dépasse le rêve, ça devient un fantasme utopique.

J’ai longtemps été pauvre et je n’ai jamais rêvé d’avoir un gros yacht, d’avoir mon jet privé, d’avoir une vie de bling-bling. Je n’ai jamais compris le goût du luxe, je n’ai jamais envié les rappeurs dans leurs vidéoclips. Même que ça me met mal à l’aise.

Quand je me retrouve dans une situation de pauvreté, je rêve simplement de ne plus avoir à choisir entre manger et payer une facture, je rêve de ne pas avoir de pépins coûteux, style une crevaison, des lunettes qui cassent, des trucs que tu n’as pas le choix de réparer ou de remplacer et qui ne sont pas du tout prévus dans ton budget.

Le sermon du prêtre sur le grand rêve de gagner une voiture ou à la loterie était juste mal présenté. Je ne doute pas un instant que plusieurs dans ce public, cette soirée-là, avaient ça comme rêve. Les pauvres ne rêvent pas vraiment de devenir millionnaires. Ils veulent juste s’enlever un putain de boulet.