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Agnès Maltais, la Gauloise de Québec

L’automne dernier, j’ai mené une série de longues entrevues sur les ondes de CKIA 88,3 FM à Québec, à l’émission Mayonnaise. Artistes, artisans des médias et politiciens ont accepté de discuter jusqu’à 60 minutes avec moi.

Voici une retranscription d’une partie d’une de ces entrevues, avec Agnès Maltais, seule députée péquiste de la région de Québec. Députée de Taschereau depuis déjà 16 ans, ancienne femme de théâtre, elle a été ministre de la Culture, ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale et ministre du Travail, elle est maintenant leader parlementaire.

agnesmaltais

Mayo : Nous avons connu un gros automne, plusieurs décisions controversées prises par le Parti Libéral et le premier ministre Couillard… Comment décririez-vous cet automne politique?

Agnès Maltais : C’est un automne de bouleversements. Le gouvernement libéral est en train d’évacuer les voix citoyennes de tous les lieux de pouvoir.

Les Centres locaux de développement (CLD), c’étaient des gens d’économie sociale, des syndicats et des patrons qui s’assoyaient ensemble pour décider ce qui allait se passer sur notre territoire, qui décidaient ensemble où les fonds allaient aller.

Les Carrefours jeunesse emploi (CJE), ce sont des jeunes qui sont sur les conseils d’administration et qui décident comment on va aider les jeunes à intégrer le marché du travail.

Dans la démocratie moderne, le citoyen participe à la prise de décisions et fait partie du pouvoir. Là, il y a une évacuation totale de toutes ces structures où il y a des citoyens. Les impacts vont se répercuter à très long terme.

Le citoyen se rend-il compte de cette perte?

Non, évidemment! C’est dans la justesse des décisions que ça va se répercuter au fil du temps.

Comment avez-vous reçu le rapport Robillard qui propose des réformes plus austères que certaines des décisions déjà prises cet automne?

À côté du rapport, le gouvernement Couillard a presque l’air gentil! Le premier ministre l’a dit devant moi en commission parlementaire, «je veux ramener le Québec à la moyenne canadienne.» Il veut faire de nous des Canadiens moyens. Quelle est la différence entre le Québec et le Canada? Ce sont les programmes sociaux qu’on a décidé de se payer, parce qu’on veut une société juste.

Le rapport Robillard confirme la vision de Philippe Couillard qui est de nous ramener à une petite province moyenne. Sans différence, sans idées, sans fierté.

En Gaspésie, au Bas-Saint-Laurent, sur la Côte-Nord, on sent une grogne. Quels sont les échos que vous recevez, vous?

Les gens sont en colère! Même des libéraux commencent à trouver que Couillard va trop loin. Le Parti Libéral est en train de démanteler les outils de pouvoir locaux. Quand tu es en Abitibi, en Gaspésie, en Bas-Saint-Laurent, tu as l’impression d’être loin de l’Assemblée nationale, que tout se joue à Québec. Donner les outils de développement au monde, parce qu’ils connaissent leur territoire, c’est sain, c’est bon.

Le gouvernement change la tarification des Centres de la petite enfance (CPE), un héritage du Parti Québécois, de Pauline Marois, même.

C’était une politique familiale créée en pleine période, d’ailleurs, de rigueur budgétaire. C’était sous Bouchard, sous le déficit zéro, mais on avait dit qu’on allait quand même provoquer quelque chose au Québec et qui rapporterait. C’est 69 700 femmes qui sont rentrées sur le marché du travail avec cette politique familiale. Ça été un investissement pour la société, tant économique que sociale.

Avant, les enfants des quartiers plus défavorisés étaient en retard par rapport aux autres. Maintenant, ils ont déjà tenu un crayon dans leurs mains, connaissent leur alphabet et leurs chiffres. On leur a donné un avenir, on a donné du souffle à notre jeunesse.

Lors du pacte fiscal, Montréal et Québec célébraient, les autres régions rageaient.

Québec et Montréal semblent présentement mener le gouvernement par le bout du nez. Le maire Labeaume a fait un mauvais calcul. En fermant le CLD de Québec, c’est 400 projets qui sont sur la glace, il y a des gens qui attendent une réponse. Ça n’a pas de bon sens.

La Ville de Québec n’est pas prête à accueillir 400 entrepreneurs, 400 projets. C’est de l’improvisation. Pour les CLD, il n’y a pas de plan de transition. C’est la même chose avec les commissions scolaires.

Les parents vont-ils se sentir concernés par le dossier des commissions scolaires? Les élections sont délaissées de plus en plus.

Je pense que si l’école Joseph-François-Perreault est menacée, les gens de la Haute-Ville vont se sentir concernés. Quand les gens de Vanier vont apprendre qu’ils devront envoyer leur enfant à Lebourgneuf au lieu de Perreault qui est moins loin et qui est desservi par un circuit d’autobus, ils vont se sentir concernés.

Ce que les commissions scolaires n’ont pas encore fait et qu’elles doivent faire, c’est de démontrer l’impact sur les parents et sur les enfants. Il va y avoir un impact.

Certains économistes disent qu’ils le font trop vite, mais personne ne s’est affiché contre l’équilibre budgétaire.

Ce n’est pas une lutte au déficit, c’est une déstructuration de la nation, et je pèse mes mots. Il y a un individualisme derrière la réforme Couillard, comme il y a un individualisme ambiant au Québec. Il faut résister à ça. Ils vont trop vite, trop fort. Ce qu’il présente n’est pas une vision, c’est un élément comptable.

Association pétrolière et gazière du Quéebc

Quelle est la différence entre les réformes de Lucien Bouchard qui voulait atteindre le même objectif et ce que fait Philippe Couillard?

Une énorme différence! On avait un déficit de 6 milliards de dollars à l’époque. Avant de faire la Loi du déficit zéro, il y a eu un sommet sur l’économie et sur l’emploi. Patrons, syndicats, société civile, tous assis autour d’une table. Le plan a été fait en collaboration avec les syndicats et les patrons.
 
Les dernières élections n’ont pas été faciles pour le Parti Québécois… Vous-mêmes, vous avez reçu votre plus bas appui en 2014… Que retenez-vous de votre élection?

On a fait une mauvaise campagne. On a maintenu un flou sur la souveraineté. C’est un symptôme qui est apparu à cette élection-ci et qui était peut-être latent dans le passé. On doit redevenir un porteur de rêve, un porteur d’espoir. Pas seulement pour le pays, mais la qualité de l’environnement au Québec, à l’organisation sociale. Je le prends avec humilité. Je suis très fière que les gens m’aient réélue.

Vous êtes la seule députée péquiste de la Capitale-Nationale. Certains parlent de Taschereau comme d’un village gaulois dans une ville à droite.

C’est un travail de tous les instants de convaincre les gens de Québec qu’il y a encore des rêves collectifs. Je ne dis pas que c’est la faute aux médias si nous avons perdu, mais à Québec, il y a deux radios qui font l’apologie du rêve individuel. C’est difficile à Québec de porter des valeurs de gauche.

J’ai reçu cet automne le chef d’Option Nationale, Sol Zanetti. Selon lui, le problème du Parti Québécois est le syndrome d’un «bon gouvernement». Qu’en pensez-vous?

Je vois ce que fait le Parti libéral qui démantèle nos infrastructures. Nous devons, de façon responsable, aspirer au pouvoir pour empêcher ça. L’un peut se faire avec l’autre. Nous pouvons aussi porter un projet de pays et être un bon gouvernement. On ne fera jamais de pays si l’on n’est pas au pouvoir. Je suis toutefois d’accord avec Option Nationale : on a besoin de clarté.

Vous êtes une native de la Côte-Nord, mais on peut sentir que vous aimez vraiment le centre-ville de Québec, où vous êtes arrivée à 16 ans. Qu’est-ce que vous aimez de votre circonscription?

Sa diversité! Il y a une richesse dans cette circonscription qui n’est à nulle autre comparable. Avant on disait que Taschereau était le comté le plus pauvre du Québec. Non! C’est le plus riche! En idées, en développement social, en culture, en patrimoine. C’est ici que l’histoire du Québec a commencé!

Et vous avez l’Assemblée nationale!

Je suis chanceuse! Je peux rentrer chez moi tous les soirs. À pied!

Pour écouter ou réécouter l’entrevue au complet, on clique ici ou ci-bas – ça commence à la trentième minute.

Vous pouvez lire mes autres entrevues avec Sol Zanetti, Gab Paquet ou Sam Murdock.

Mayonnaise (13-12-2014) by Radio Ckia on Mixcloud