En mars dernier, Louis-Jean Cormier présentait son deuxième solo, Les grandes artères. Un album très attendu depuis que le public l’a découvert avec La Voix. Longue entrevue avec l’auteur-compositeur-interprète en quête de sens.
On savait que tu travaillais sur ton deuxième album, tu en parlais sur Facebook, mais l’annonce de la sortie a surpris. Bang! L’album sort dans trois semaines! Un effet recherché?
Oui. Je suis un gars passionné, un peu trop, même. Je me suis mis à travailler sur un disque parce que j’avais besoin de le faire et ça a déboulé vite. Ce disque-là a voulu vivre de lui-même, il est apparu comme ça.
C’est une démarche de commercialisation aussi. Il y a des gens qui veulent sortir des extraits, tranquillement, six mois ou un an d’avance. Moi j’ai voulu jouer le coup de la surprise et d’ouvrir les valves! Du disque et du spectacle! C’est la première fois que c’est aussi rapproché, le début de la tournée et la sortie du disque. Ça me plait, on va partir sur une belle bulle et après coup je pourrai prendre un peu de repos. Là, on fonce!
J’ai l’impression qu’il y a deux grands thèmes sur cet album. Le premier, plus évident, est l’amour, ou la fragilité de l’amour.
Les tempêtes de l’amour, mais aussi le désir de se bousculer, de se réinventer. Il y a beaucoup de réflexions sur l’amour, la liberté individuelle, si le couple ne brime pas cette liberté, des questions comme ça. Tête première est inspiré d’amis qui ont décidé d’aller vivre du jour au lendemain avec leurs deux enfants en Nouvelle-Zélande. Je trouvais ça beau, mais c’est aussi de se mettre en danger. Ça inspire!
Plusieurs pourraient s’inquiéter, est-ce inspiré de ta propre vie, ces déchirements amoureux?
Ce l’est toujours un peu, mais vraiment pas à ce stade-là. On a fait dans le drame qui allait faire réfléchir les gens, nous brasser le dedans, mais c’est pas aussi autobiographique qu’on pourrait le croire. C’est en grande partie inspirer par la vie des autres.
Marie-Pierre Arthur a eu les mêmes propos, elle aussi parle d’amour… et elle fait partie de ton entourage. Parlez-vous des mêmes personnes, finalement?
On a le même entourage! Oui! On a vécu un automne rempli de ruptures. Moi aussi je me suis posé beaucoup de questions, mais relié à ma nouvelle vie de condition publique et de notoriété, c’est envahissant un moment donné. Il vient un moment où tu te poses des questions. Est-ce que j’ai perdu mes repères? J’avais envie de créer un disque qui allait être une démarche thérapeutique, dans mon coeur, ma tête, ma liberté de création. J’ai tout arrêté pour faire un disque, sans travailler sur autre chose en même temps, et j’ai vraiment aimé ça!
Justement, l’autre thème des Grandes artères est le tourbillon de nos vies. As-tu eu peur de perdre le contrôle de ton temps? De ta vie? Avec La Voix et tous les projets où tu participais?
Je me suis rendu à une étape que je n’avais pas vue venir. Et ça, c’est la passion qui crée ça. C’est une passion qui nous aveugle, parce qu’on aime ça. J’ai adoré faire La Voix, j’étais triste de devoir renoncer, mais c’était un devoir qui était exigé par mon métabolisme, j’étais un peu en détresse, épuisé. De là les questions: est-ce que j’en fais trop? Ça fait peur quand ça arrive, ça te remplit d’angoisse.
Il y a quelque chose de dramatique, de mélancolique, de contemplatif, comme lorsqu’on regarde au travers d’une vitre alors qu’il pleut à l’extérieur.
C’est un disque qui se veut cinématographique. J’ai réussi, pour moi, à faire le meilleur mélange de poésie et de nouvelles littéraires ou de scénarios. C’est une musique qui se raconte et teintée de ce qu’on a pu entendre dans les films de Tarantino ou de Morricone. Je ne l’avais pas vue venir cette couleur-là. On s’en allait faire un disque de rock psychédélique et finalement il y a juste St-Michel qui colle à cette démarche de rock psychédélique.
Je suis content d’avoir bifurqué dans la direction orchestrale, mais content aussi de ramener les chansons folk-orchestral du disque dans un rock psychédélique sur scène. Parce que c’est ça qui se passe, sur scène, c’est vraiment plus énergique et incisif.
Donc pas d’orchestre avec vous sur scène!
Non! On ne sera pas 16 sur scènes chaque soir. Ça va arriver quelques fois, des soirs de surabondance, mais à 5 on est capable de se faire vraiment du fun. Même avec Karkwa, les albums étaient plus calmes que les shows, avec le Treizième étage aussi. J’aime ça crinquer les amplis et jouer de la guitare électrique et triper.
Tu viens de parler de Karkwa. On a l’impression d’en entendre un peu sur cet album. St-Michel, Vol plané, ou Faire semblant… par exemple.
Ça faisait partie de ma démarche et de mon désir de liberté dans la création. Avec le Treizième étage, j’ai réussi à m’affranchir un peu de Karkwa puis avec ce disque-là je n’ai pas eu peur de faire un pas vers l’arrière, d’aller vers le côté, en avant, j’étais libre.
Le banjo me semble être le fil conducteur de l’album.
Je pense qu’on l’entend dans dix tounes, il y en a partout. Le banjo est un instrument sincère, rempli de naïveté. Je l’ai aimé, mais il n’est pas là en spectacle, je vous avertis! On le laisse dans son étui.
En écoutant l’album, j’ai eu l’impression que le «pacing» a été fait pour des vinyles. J’ai l’impression qu’il y a une Face A et une Face B.
Les vinyles s’en viennent d’ailleurs! Je suis un audiophile, un mélomane. Oui, il y a une Face A et Face B. Il y a cette démarche cinématographique encore, un moment culminant d’émotion avec Deux saisons trois quarts, puis une transition et pour moi le générique de fin est Montagne russe, qui nous amène dans un état particulier. On se rend compte que toutes les réflexions sur l’amour n’auront pas de fin.
Chaque fois que Karkwa est évoqué, que ce soit avec toi, François Lafontaine ou Julien Sagot, on fait attention aux mots. On ne dit pas «ex». On ne parle pas au passé.
C’est un band d’amis qui est en suspens et qui ne pourra jamais exister avec d’autres membres que les originaux et qui ne pourra jamais reprendre ses occupations s’il y en a un qui y va à reculon. C’est vrai que là, ce n’est pas tout le monde qui est partant. J’aurais le goût, mais je suis pris dans un tourbillon.
À quel point un retour de Karkwa est possible? François Lafontaine est en demande partout. Julien Sagot vient de lancer un deuxième album encensé par la critique. Bref… vous êtes occupés!
On ne se ne voit pas assez à notre goût. Je vois plus souvent Stéphane Bergeron, nos enfants fréquentent la même garderie. François Lafontaine je le croise dans des tournées ou des enregistrements. Julien Sagot, je le dis haut et fort, son spectacle est hallucinant. Allez le voir! J’aime tellement ce qu’il fait. Martin Lamontagne s’est réinventé aussi. Il joue sporadiquement, mais il est nouveau papa, une surprise pour le plus délinquant du groupe!
Tu te sens où par rapport à Karkwa?
Je me sens… pas énormément changé. On voulait faire les choses sans compromis et ça, ça ne changera jamais. J’ai appris beaucoup avec La Voix. J’ai appris à avoir une vue d’ensemble de la musique au Québec. Nous, on vit dans un milieu entouré d’artisans, de mélomanes, de trippeux de musique et on a l’impression que tout le monde connait ça!
Avec Martin Léon, on a fait une étude sociologique. Qu’est-ce qui change la donne? Qu’est-ce qui fait que quelqu’un qui écoute la radio parlée, qui travaille à la shop et qui n’est pas curieux – et ce n’est pas un défaut, qu’est-ce qui fait qu’il va avoir envie d’écouter Philippe B? D’écouter le disque de Jimmy Hunt? C’est entre autres parce qu’il va avoir découvert la personnalité de l’artiste. On revient à l’importance de la tribune que l’on a. De ne rien prendre à la légère. Dès qu’on a une remise de prix, à l’ADISQ, par exemple, on a un temps d’antenne, profitons-en! Quand le public découvre la personnalité d’un artiste, comme il m’est arrivé avec La Voix, le public est plus curieux de découvrir sa musique.
Je prends exemple sur les réalisateurs de films, ou Robert Lepage, ils diront jamais en recevant un trophée «Yeah, cool, merci, chow». Ça donne rien. Ils vont profiter de ce temps-là pour proposer quelque chose. Pas obligé de toujours prendre position, mais juste démontrer qui on est.
Au début de La Voix, tout le monde se demandait d’où tu sortais, et à la fin, tout le monde te connaissait.
J’ai eu à apprivoiser ça. Les gens viennent tous donner de l’amour. Personne ne donne de la marde en personne, ils le font derrière leur ordinateur. La personne au dépanneur ou à la pharmacie qui veut se prendre en photo avec toi, c’est de l’amour.
Il ne faut pas commencer à paniquer avec ça. Au moment que tu changes ta vie, que tu demandes d’aller à l’épicerie à ta place, c’est là que ça change. Il y a une barrière que je ne veux pas franchir. Je veux continuer à vivre ma vie. Ça change dans les grandes réunions de famille. C’est la frénésie, mais je suis juste le cousin, encore. Le pouvoir de la télé, c’est gros. Mais il y a plus d’avantages que d’inconvénients.
L’aventure a-t-elle été à la hauteur de tes attentes?
J’étais totalement inconscient. J’aurais tellement pu bousiller ma vie! J’aurais pu être mauvais! Tout est tourné avant que ça soit diffusé! J’ai eu de l’instinct et j‘ai réussi à m’en sortir indemne.
Ce qui t’a fait le plus tripper?
Pouvoir dialoguer. C’est mon métier de réalisateur qui rentrait en ligne de compte. Ce que tu chantes, est-ce que j’y crois? Tu as beau faire les triples saltos arrière de la corde vocale, si je ne te crois pas, ça ne marche pas. Si tu regardes vers le passé, les plus grands chanteurs, ils ont un bon larynx, mais ils ont de l’émotion. Presley, Sinatra, Salvador… c’est l’émotion qui prime.
Aurais-tu participé à ce genre d’émission à 18 ans?
Je n’étais pas assez mature pour avoir la réflexion que j’ai eue pour accepter le contrat. Pourquoi boycotter? La musique a besoin d’aide. Pourquoi passer à côté de cette tribune? Oui, je vais m’éclabousser, mais je vais pouvoir amener quelque chose de nouveau. Faire chanter du Gaston Miron, du Galaxie ou du Félix Leclerc. J’y voyais un sens.
Tu te trouves plus proche de l’underground que de la pop?
Je ne fais pas très radiophonique. J’ai deux disques plus pop que Karkwa. Je suis un gars qui aime la pop. Sufjan Stevens, c’est très pop, mais ce n’est pas radiophonique et il a une identité. C’est là-dedans que je me considère. Sur Les grandes artères, des extraits radio, il n’y en a pas des masses, les chansons sont longues.
Tu as évoqué l’importance d’utiliser sa tribune. Depuis quelque temps, tu prends position, comme appuyer Alexandre Cloutier à la course à la chefferie du Parti québécois.
Ça fait partie de ma quête de sens, encore. J’ai toujours eu des idéaux. J’ai longtemps été désabusé par la politique et par le Parti québécois qui a eu une vie faste et qui a perdu son identité avec le temps… Je me suis retrouvé dans Alexandre Cloutier, dans sa vision des régions, de l’éducation… Ça me rejoint. Il n’a pas froid aux yeux et dit les choses simplement. Ça me plait.
Plusieurs trouvent ça absurde que des artistes prennent position sur des enjeux sociaux.
Je trouve ça bien plus absurde que des citoyens inconnus s’affirment haut et fort sur les médias sociaux pour rien. Apprendre qu’ils ont bu un jus d’orange, ça sert à rien. Les grands événements politiques ont été portés en grande partie par les artistes. Ce qui fait sortir les gens, ce qui remplit les Plaines d’Abraham, c’est pas Alexandre Cloutier, ce sont les artistes.
Tu as aussi pris position sur un projet controversé dans ta ville natale, à Sept-Îles, un projet de mine à ciel ouvert, Mine Arnaud.
Je me disais que les gens qui orchestraient le mouvement «contre» étaient des gens qui me ressemblaient. Je ne suis pas en train de détester ceux qui étaient pour ou mon coin de pays natal. Peut-on se réinventer autrement? Faire des choses plus durables? Oui, des gens perdent leur emploi, des mines ferment, mais de là à sauter sur tous les projets, 300 emplois sur 30 000 personnes, ça ne changera pas la donne.
Ça t’a attiré des foudres de la part de certains Septiliens, cette sortie.
Je m’en doutais, c’était tellement mitigé. Mais j’ai eu beaucoup d’amour aussi.
Tu viens bien avec les briques?
Chez la plupart des gens qui lancent des briques sur les médias sociaux, je ne me reconnais pas, je n’ai aucune affinité. Souvent, là je vais porter un jugement, c’est très mal écrit. Les messages négatifs que je recois et qui sont bien écrits et bien fondés, ça, ça me shake plus, je veux discuter avec eux. Parfois, ça me remet à ma place, c’est correct, c’est un dialogue.
On vient de le dire, tu viens de Sept-Îles, un endroit très différent de Laval, peut-être pas pour l’urbanisme, mais pour sa baie, sa mer, ses plages… Pour y avoir vécu aussi, je sais comment ça forge un quotidien, tout ça. À quel point ça te manque?
Beaucoup. Je l’ai évoqué à Tout le monde en parle, mais j’ai un désir de prendre la mer. J’ai beaucoup de parenté là-bas et énormément de navigateurs et de pêcheurs dans ma parenté et moi je ne connais rien de ça. Je n’ai jamais été pêcheur ou chasseur, j’étais plus intello-socio-culturel. Mais ça me manque. On se rend compte à quel point l’habitat est marquant et nous influence.
D’où l’idée d’une année sabbatique en bateau?
À moyen ou long terme. C’est un plan. Là j’en ai pour deux ans de spectacles. On revient à l’idée de Tête première, de se bousculer, de provoquer un changement, qui risque de faire du bien.