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Le mirage de QuebecSpectacles.com

Aujourd’hui, les réseaux sociaux discutaient de Guy A. Lepage et de ses propos sur les habitudes de consommation culturelles de la Vieille Capitale. Il a dit que Québec était une ville de hockey et de heavy métal.

Oui et non. Mais je m’en crisse un peu. Ceci démontre surtout l’étrange situation que la Capitale nationale a avec le Centre Vidéotron. Un énorme amphithéâtre dans une ville qui a déjà quelques salles de spectacles/bars qui, parfois en arrachent, parfois usent de stratégies plurielles pour être rentables.

Afin de calmer le jeu, la Ville de Québec a rencontré les diffuseurs et producteurs de Québec. Du moins, une partie de ceux-ci. Ensemble, ils se sont dit qu’il fallait que ceux et celles qui étaient intéressés par Madonna et Metallica devraient aussi se faire proposer un petit spectacle d’un artiste qu’ils ne connaissent pas dans une petite salle de Québec. Ce n’est pas une logique en béton armé, mais ça peut se défendre. Mais comment faire?

Avec un site Internet! Vie culturelle de Québec, tu es sauvée, car voici quebecspectacles.com!

quebecspectaclescom

Les réactions n’ont pas tardé la semaine dernière quand le site a été mis en ligne.

Karl-Emmanuel Picard, l’homme derrière District7, l’un des diffuseurs et producteurs les plus actifs de Québec, qui produit autant dans sa propre salle (L’Anti) que dans les autres bars, le Palais Montcalm ou l’Impérial, était médusé quelques jours après l’arrivée du site messianique. «Plus de portails n’est pas nécessaire, ce n’est pas ça la solution.»

Le ton est même un peu plus sévère chez Edouard Garneau, responsable des communications au Cercle. «Leur objectif n’est pas du tout atteint. Si au moins le concept était bon!»

Les deux professionnels du milieu culturel de Québec jugent que ce que veut faire quebecspectacles.com est déjà très bien fait par quoifaireaquebec.com. «Il y a déjà à Québec des gens qui veulent que ça bouge, comme Quoi faire à Québec ou Ecoute donc ça», précise Karl-Emmanuel Picard. Pire, considère Edouard Garneau, «ils dédoublent ce qui se fait déjà avec des fonds publics.»

quoifaireaquebec

Du côté de quoifaireaquebec.com, on se questionne énormément sur cette nouvelle plateforme, mais on modère les propos. Karl Boulanger et son équipe alimentent ce site-calendrier depuis sept ans, devenant une référence à Québec, mais ils n’ont jamais été consulté par Québec Spectacles.

«Quand j’ai compris ce qu’ils allaient faire, que c’était de la concurrence directe et non une complémentarité, raconte Karl Boulanger, j’ai trouvé ça dérangeant et dommage, mais je pense encore qu’on peut bâtir quelque chose ensemble.»

De l’argent dans le vide?
Pour lancer la plateforme de quebecspectacles.com, la Ville de Québec, l’Office du tourisme et le Conseil de la culture allongent 900 000$ sur trois ans. Le poil s’est dressé sur les bras comme sur une brosse à dents pour plusieurs acteurs du milieu culturel, mais aussi du web.

Selon Carl-Frédéric De Celles, président de iXmedia, entreprise qui a entre autres conçu le plus récent site Internet du Festival de cinéma de la Ville de Québec, un site comme quebecspectacles.com a dû coûté environ 50 000$ à 60 000$. «Le site n’a rien d’extraordinaire, ajoute-t-il. C’est une copie de La Vitrine de Montréal. Il n’est pas compatible avec les mobiles, il n’a pas un bon référencement, il est ordinaire.»

Karl Boulanger de Quoi faire à Québec n’en revient pas des sommes allouées. «C’est hallucinant 900 000$! C’est trop! Ce qui vaut cher sur Internet, c’est le réseau, le référencement. S’ils nous avaient approchés, je leur aurais dit qu’on n’avait pas besoin de 900 000$.» Édouard Garneau n’en revient pas non plus. «Je virerais fou d’avoir ces moyens!»

Au fil des discussions, on comprend qu’une bonne partie des sommes vont à l’achat de publicités dans les médias traditionnels, afin de lancer et de promouvoir cette nouvelle plateforme. De l’argent gaspillé aux yeux de tous les intervenants avec qui nous avons discuté.

«Les jeunes de 18 à 35 ans ne veulent pas de site statique. Ils veulent du contenu, pas juste de l’info. Il faut du marketing intégré», soutient Edouard Garneau. «C’est dur faire sortir les gens, admet Karl-Emmanuel Picard. Il faut faire de la publicité plus ciblée sur Internet.»

Manque de transparence et d’ouverture
Plusieurs intervenants du milieu culturel s’insurgent de ne pas avoir été consulté avant le lancement de la plateforme. «Hier, j’avais quatre spectacles à Québec, les quatre auraient pu être sur ce portail. Pourquoi je n’ai pas été rencontré», se demande Karl-Emmanuel Picard.

Bien que le Cercle soit affiché sur quebecspectacles.com, l’équipe n’a jamais été approchée avant non plus. «Plusieurs personnes de l’industrie auraient dû être rencontrées. Il manque de gros diffuseurs et beaucoup de contenus», estime d’ailleurs Édouard Garneau.

Le nouveau portail n’affichera que les membres de l’Office du tourisme ou du Conseil de la culture. «C’est lourd! Il faut être membre. Je ne fais rien et tous mes événements sont sur quoifaireaquebec.com», s’insurge le Karl-Emmanuel Picard.

Sur sa page Facebook, Carl-Frédéric De Celles n’a pas caché sa stupéfaction de l’absence d’appel d’offres. «On ne sait pas à quoi servent les fonds, insiste ce pionnier du Web québécois. La plupart des sites Internet des salles de Québec n’ont pas de sites mobiles. Il faudrait investir là-dedans avant d’ajouter une autre plateforme.»

Vendre des forfaits
Bien que nous n’ayons jamais pu discuter avec Isabelle Longpré, la chargée de projet de quebecpsectacles.com, nous avons pu comprendre qu’au fil du temps, le portail souhaite offrir des forfaits aux consommateurs. Un souper avec un spectacle, par exemple. Le site Internet se distinguerait aussi par la possibilité d’acheter des billets directement via le site.

Présentement, quoifaireaquebec.com redirige ceux qui souhaitent acheter un billet directement sur le site du diffuseur. «Pour les achats, on aurait facilement pu faire la même chose. C’est juste un code à intégrer. Ce n’est pas compliqué», explique Karl Boulanger. De plus, son équipe gère déjà des sites comme tonresto.ca. «On a déjà un réseau, créer des rapprochements ou des forfaits n’aurait pas été durs», précise-t-il.

Malgré tout, Karl Boulanger souhaite collaborer avec son concurrent financé par les fonds publics. «C’est un dossier chaud, admet le patron de quoifaireaquebec.com, mais on veut trouver des solutions et travailler avec eux.» Si ça ne marche pas, il a plusieurs idées en tête pour que son site demeure la référence à Québec.

Carl-Frédéric De Celles croit toutefois que le « problème » se réglera de lui-même. «C’est un éléphant blanc. Il risque de mourir dans un an.»