Chaque année, ma mère m’achète des billets de loto et des gratteux à Noël. Elle n’a pas les moyens de nous rendre riches, ma soeur et moi, mais elle aimerait bien ça qu’on n’ait plus des soucis financiers, qu’on ne vive pas le même stress qu’elle a eu presque toute sa vie.
À chaque fois, c’est un peu la même histoire. Elle nous décrit ce qu’elle ferait avec 8 millions de dollars, ou avec 23 millions de dollars, selon la grosseur de la cagnotte.
Je n’arrive pas à avoir des rêves aussi précis qu’elle. En fait, aucun de mes rêves ne tourne autour d’une possibilité – réaliste ou non -, d’être millionnaire. Devenir riche n’est pas un de mes buts. J’ai voulu me sortir de la pauvreté et y retourner me fait toujours peur, mais même pauvre, je ne rêvais pas de devenir millionnaire. Juste rejoindre la classe moyenne est déjà une délivrance pour une personne pauvre.
Néanmoins, comme ma mère ramène la discussion chaque année, j’ai involontairement réfléchi à ce que je pourrais bien faire avec un compte en banque débordant de millions.
Je sais déjà que je ne serais pas du genre à le montrer. Je serais un millionnaire sobre. Je ne tripe pas sur le bling-bling.
J’imagine que si je gagnais un million, je m’achèterais quelque chose en ville et en région. Je changerais de voiture (pour une électrique). Je paierais mes dettes. Je voyagerais. Je mettrais une somme dans un compte épargne pour ma nièce. Je paierais sûrement des dettes de ma soeur, de ma mère, de mon père et de quelques ami(e)s proches. Je continuerais de travailler. Ça c’est sûr. Peut-être que l’aspect plaisir l’emporterait sur l’aspect salaire, mais je travaillerais. Et ce qui resterait du million gagné servirait de coussin, un antistress financier. J’en profiterais peut-être pour retourner aux études, ou étudier point, moi qui n’ai aucun diplôme.
J’imagine que si je gagnais 10 millions, je ferais la même chose qu’avec un million. La différence? Peut-être que là je lancerais mon propre truc. Un média qui me ressemble, sans le souci du salaire ou des revenus publicitaires, le temps que ça pourrait durer avec le gros lot.
J’imagine que si je gagnais 20 millions… je ne ferais pas tant plus. J’ai beau chercher, je ne vois pas quoi je ferais… sauf peut-être donner à des organismes. Aider des gens. Je n’arrive pas à voir ce que je pourrais faire de plus avec 20 millions que je ne pourrais pas faire avec 10, même 5 millions.
C’est pour ça que je ne comprends pas la folie actuelle entourant le PowerBall. Tu vas faire quoi avec 1,5 milliard de dollars? Tu vas te présenter contre Donald Trump? (Non, tu ne pourrais pas, sauf si tu es né aux États-Unis).
Je sais bien qu’un million de dollars en 2016 ce n’est pas aussi fou qu’en 1982. Je comprends qu’on peut en faire plus avec dix qu’avec un seul. Ma logique arrive à me sortir une explication psycho-pop derrière la folie des gens lorsque les montants deviennent débiles, comme 64 millions ou, là, 1,5 milliard de dollars. Mais une partie de moi ne comprend pas plus.
Comme tout le monde, je ne cracherais pas sur un héritage d’un oncle obscur d’un million. Ou gagné par un des billets de loto que ma mère me donne à Noël. Mais l’idée de mettre la main sur 1,5 milliard de dollars me laisse vraiment froid. En fait, je me sentirais mal. C’est tellement gros. Je serais incapable de garder ça pour moi. Alors rêver de le gagner? Bof.
Je regarde tout ce cirque complètement médusé. Je me dis que je n’aurais vraiment pas été un prospecteur à l’époque de la ruée vers l’or.