Après une pause de quelques mois en 2015, je reprends la plume (m’enfin, le clavier) pour reparler de bande dessinée.
Aujourd’hui, deux bandes dessinées très différentes dans le ton et dans le propos. La première nous amène dans des zones sombres de l’humain et la seconde dans le multiculturalisme d’Outremont. Les deux utilisent néanmoins l’humour, à leur manière, comme fil conducteur.
JOKER, par Benjamin Adam
Éditions La Pastèque
Joker, c’est à la fois l’étrange nom d’un des personnages et une carte, celle qu’on retrouve dans tous les jeux de cartes, qui déclenche tout.
Une bande dessinée très «frères Cohen» – pensez à Fargo -, acclamée par la critique et faisant partie de la Sélection officielle du maintenant controversé Angoulème 2016. Je dois l’avouer, j’avais des attentes avec tous ces éloges.
Même si un des personnages se nomme Joker, il n’y a pas de personnage central. Forme de chassé croisé qui nous fait suivre l’évolution d’un fait divers… où chaque décision étrange et parfois anodine ont un effet amenant les personnages tous un peu plus loin dans le chaos, le malheur ou la délivrance.
Revenons au début. Deux frères et leur cousin jouent aux cartes depuis des années. Les frères ont épousé deux soeurs et ils ont 7 enfants chacun. Dont un se nomme Joker.
Les deux frères sont les employés d’un empire style Power Corporation et dont le cousin en est l’héritier. Et disons-le, les deux frères n’ont pas des emplois de fou. L’un est ouvrier dans une usine, l’autre est livreur.
Bref, les trois cousins jouent aux cartes chaque semaine. Au 8, plus précisément. La personne qui se ramasse avec le joker a toutefois la possibilité d’échanger sa vie avec un autre pendant une semaine. Ainsi, chaque semaine, depuis des années, ils s’échangent leur vie. Jusqu’à ce que les deux frères apprennent que leur cousin les rend tous les deux cocus. Bang! C’est la fin des jours heureux.
Et ça démarre vite. Les frères se vengent. Leurs femmes paniquent. Des gens meurent. Les enfants comprennent rien. Des histoires cachées et taboues de l’empire ressortent. Etc.
C’est intelligent. C’est drôle, aussi, par l’absurdité des situations, des revirements et des décisions que prennent les personnages, qui n’ont aucune idée de tout ce qui se trame vraiment. Nous sommes en fait la seule personne à pouvoir savourer cette absurdité. Un humour noir et subtil. On peut y retrouver une certaine critique de la société, mais surtout une satire de la nature humaine dans l’absurdité de notre vie moderne.
On a un trait froid et précis, mais épuré, qui m’a parfois rappelé un Gotlib plus relâché.
Malgré toutes ces qualités, je n’ai pas l’impression d’avoir eu le coup de coeur de mes collègues critiques de BD. Peut-être ce classique sentiment que l’on a quand on se frotte à une grande réputation. C’est bien fait, c’est intelligent, sans failles, mais je n’ai pas envie de crier au génie pour autant. J’ai aussi une impression qu’il y a un dosage inégal, certains rebondissements qui sont un peu forcés. Ça demeure tout de même une bande dessinée au-dessus de la moyenne.
SALOMÉ ET LES HOMMES EN NOIR, par Valérie Amiraux et Francis Desharnais
Éditions Bayard
Salomé et les hommes en noir nous propose de rencontrer les juifs hassidiques du quartier Outremont de Montréal. La bande dessinée repose beaucoup sur les observations et les questions de Salomé, une jeune européenne qui vient d’arriver dans le quartier et qui se demande pourquoi les Montréalais portent de si grands chapeaux noirs.
C’est donc avec le point de vue de Salomé que l’on s’introduit dans l’univers des juifs hassidiques. Via de courtes histoires, souvent à partir d’une anecdote, on évoque la séparation des sexes, le Shabbat, leurs cérémonies ou les soukkas. Des croquis, qui viennent ajouter ou préciser des éléments, viennent donner un rythme supplémentaire à tout ça.
Hybride entre l’intime et le reportage, le tout est franchement sympathique. C’est chaleureux, taquin, et surtout profondément humain. On ne s’attendait pas à moins de Valérie Amiraux, qui est quand même titulaire de la Chaire de recherche du Canada en pluralisme religieux, ni de Francis Desharnais, qui trouve toujours la manière de tout rendre intéressant.
D’une manière bien égoïste, j’aurais aimé que la bande dessinée aille plus loin. Je suis resté avec cette impression d’avoir assisté à un cours d’introduction et là, j’attends les cours 201 et 301. Toutefois, cette bande dessinée peut justement servir d’introduction pour plusieurs personnes, les jeunes, évidemment, mais aussi les moins jeunes qui ne savent absolument rien sur cette communauté.