Je fais ici hommage à une certaine époque du Voir où les titres étaient toujours des jeux de mots, ou des doubles sens. Mais le plus beau là-dedans, c’est qu’importe l’angle sous lequel je prends le titre, il colle au sujet.
La pièce S’aimer, présentée au Périscope jusqu’au 26 mars, est un défi théâtral en soi. Les deux sujets de la pièce sont eux aussi des défis. D’un côté, la vie de Hector de Saint-Denys Garneau. D’un autre, s’accepter et s’aimer.
On devine le colossal travail de Thomas Gionet-Lavigne, qui signe le texte, en plus d’être le seul acteur de la pièce. S’aimer, c’est une enquête et une quête. En creusant l’histoire du poète et peintre de Saint-Denys Garneau, le personnage principal creuse en lui-même. D’un témoignage à un autre, dont celui du père Benoit Lacroix qui vient de mourir, on découvre les tourments, mais aussi les beautés du poète. Thomas arrive à nous donner envie de découvrir ou de replonger dans l’oeuvre de Saint-Denys Garneau, un pionnier de la poésie moderne au Québec.
On parle d’amour. De la place de l’amour dans nos vies. De la place de l’amant ou de l’amante dans nos vies. De l’importance de s’aimer et de s’accepter. Un prérequis, en fait.
Sans surprise, cette quête m’a particulièrement touché. Parce que j’ai réalisé, il y a un peu plus de trois ans, que je n’arrivais pas à faire de la place à l’amour dans ma vie, que ce soit d’aimer ou de me laisser être aimé, parce que je ne m’aimais pas à point dangereux. Autodestructeur. J’ai frappé un mur plus infranchissable que la Muraille de Chine.
Je me reconnaissais dans cette quête. Je m’y voyais. Ma propre souffrance m’est revenue. Ainsi que celle de gens que j’aime.
À force de ne pas s’aimer, on ferme son coeur. On ne tolère pas l’amour des autres. On s’éloigne de nous-mêmes et donc des autres. On se rejette et on rejette ceux qui pourraient nous aimer. Parce que ça nous ramène à nous, parce que ça gratte des plaies qu’on se cache.
Thomas Gionet-Lavigne nous plonge dans tout ça avec justesse et sensibilité. Que ce soit par les crises du personnage ou par les poèmes de Hector de Saint-Denys Garneau, nos émotions nous pognent dans le ventre et éclatent en même temps.
Il ne faut toutefois pas croire qu’il n’y a que du noir dans S’aimer. Au contraire. Ça regorge de lumière aussi. Les propos de Benoit Lacroix sont probablement parmi les plus beaux. L’amour, ça se choisit, en quelque sorte. Quand il se présente, il y a un choix à faire. L’amour, la chose la plus importante dans la vie, toujours selon le père Lacroix.
Tous les personnages sont interprétés par Thomas Gionet-Lavigne, même lorsque ce sont des discussions entre deux personnages. Une heure et quarante-cinq minutes de textes denses et poignants. Il réussit à nous faire vivre la douleur d’une dame de 80 ans, se rappelant l’amour de sa vie, le tout en alternant les personnages. C’est un jeu intense, qui restera longtemps dans ma mémoire.
S’aimer est une pièce brillante, chargée d’émotions, d’intelligence et de sensibilité. C’est une ode à la poésie et à l’amour. C’est aussi une main tendue, vers soi-même. Une invitation à se prendre dans ses bras et à se crier «Je t’aime!».
S’aimer est présentée au Périscope jusqu’au 26 mars. Pour en apprendre un peu plus sur la pièce et l’oeuvre, je vous invite à lire cette excellente entrevue de Catherine Genest avec Thomas Gionet-Lavigne.