La scène se passe il y a plus de dix ans, à Montréal.
J’y étais pour couvrir les Francofolies et après un spectacle, je suis allé rejoindre des amis dans un bar sur la rue Ontario.
À force de jaser et prendre des bières, une amie d’une amie commence à me faire des avances. Sans surprise, ça m’a pris du temps m’en rendre compte. En fait, elle a dû me le dire carrément, qu’elle me cruisait, pour que j’allume. Je crois profondément à l’amitié avec le sexe qui nous attire, si bien que pour moi, ce n’est pas parce qu’on a une belle conversation qu’on se cruise.
En fait, je ne cruise jamais. Comme je ne «date» jamais. Ce n’est pas un truc auquel je pense. À un point un peu con. Comme l’autre jour, je n’ai pas osé dire à la fille de La folle fourchette qu’elle rayonnait vraiment, avec ses cheveux fous, son regard vif et son ton chaleureux. Juste parce que j’avais peur qu’elle pense que je voulais la cruiser. Annabelle, je pense, qu’elle se nommait (tant qu’à faire).
On est dans un monde où tout le monde met tellement d’énergie à cruiser que moi, le gars qui ne le fait jamais et ne se rend jamais compte quand les autres le cruisent, j’ai peur de toujours être mal compris. Je ne veux tellement pas jouer ce jeu que j’ai peur d’avoir l’air de vouloir le jouer. C’est tellement niaiseux.
Toujours est-il qu’après m’avoir indiqué qu’elle me cruisait, elle m’a proposé de l’accompagner chez elle.
« Des fois, quand je ramène des gars chez moi, je change d’idée. Je préfère te prévenir », me dit-elle, remplie d’inquiétude.
« Je ne vois pas le problème », que je lui réponds.
Elle n’a pas l’air de me croire. « Ça te dérangerait pas, insiste-t-elle, de venir chez moi et que je change d’idée et qu’on ne fasse que dormir et qu’on ne fasse rien? » Je lui répète que non, ça ne me dérangerait pas. Je dois insister, non, je ne serais pas fâché et oui je trouve ça normal. Je trouvais ça un brin surréaliste, pour être bien honnête.
Sur le coup, je ne comprenais pas. J’étais un jeune naïf qui pensait que la majorité des gars de sa génération respectait les femmes (ou autres partenaires), respectait les volontés, comprenait les «non», etc. Je ne pouvais pas comprendre pourquoi elle trouvait ça exceptionnel que je lui dise ça.
Malheureusement, avec le temps, j’ai entendu trop d’histoires pour comprendre que non, finalement, beaucoup de gars de ma génération ne voient pas les choses comme moi.
Je ne comprends toujours pas en quoi aller chez une fille pourrait signifier automatiquement de coucher avec. Je ne comprends toujours pas en quoi embrasser une fille signifierait automatiquement qu’elle voudrait baiser. Le «non», le refus, changer d’idée, tout ça peut se faire à n’importe quel moment, y compris pendant l’acte. C’est pour moi aussi évident que «1+1=2».
Je suis toujours choqué et troublé quand j’entends des histoires d’amies qui se font agresser. Que ce soit le gars qui insiste, le gars qui égorge, le gars qui pogne la fesse d’une inconnue, le gars qui prend un coup de vent pour un appel à fourrer, je n’en comprends aucun.
Je suis troublé et écoeuré par le nombre de filles que je connais qui m’ont raconté ce genre d’histoires. J’ai mal pour elles à chaque fois. J’ai mal à mon humanité, à chaque fois.
Le pire, c’est que ces victimes se sentent responsables. Le pire, c’est que parfois la société veut faire croire qu’elles ont couru après. Quand même bien que tu décides de te promener nue dans la rue, rien ne peut ouvrir le moindre millimètre a une agression.
Analogie boiteuse, mais tout de même: un vélo laissé lousse sur un mur n’est pas un droit à être voler, ni une obligation. Si tu le prends, c’est un vol. On s’en fiche qu’il ne soit pas barré. Heureusement pour le propriétaire du vélo, on ne ramènerait pas en cour qu’il laisse souvent son vélo lousse et qu’il cherche donc le trouble en agaçant les possibles voleurs de vélo. Mais là, j’ai juste l’air d’insister avec mon analogie boiteuse.
Quand même bien que la victime ait mis ses fesses sur ta face, quand même bien que la personne ait caressé ton entrejambe, quand même bien que la victime soit ivre, si elle change d’idée et que ça te fait chier, tu peux toujours prendre tes affaires, lâcher quelques jurons et partir. Tu peux même la traiter de conne. C’est pas édifiant, c’est même à éviter… En même temps, ça confirmerait qu’elle fait bien de changer d’idée et de te repousser. Qu’importe, si t’es trop en crisse pour rester, décrisse. Crois-moi, ton pénis va s’en remettre assez vite. Ton orgueil aussi.
Pour en revenir à l’histoire du début, finalement, je n’ai pas raccompagné la demoiselle chez elle. Premièrement, elle était saoule et je ne trouve pas ça bien. Coucher avec une inconnue saoule, moi, ça n’a jamais été un fantasme. Puis, pour tout dire, les «one night», c’est pas trop mon truc. Fak, c’est sûrement moi qui aurais changé d’idée une fois dans son lit. Pis ça ne m’aurait pas inquiété. Elle ne m’aurait pas agressé. Envoyé promener, peut-être, ordonné d’aller dormir sur le divan, peut-être, mais elle ne m’aurait pas agressé. Et ça devrait être comme ça pour tout le monde, tout le temps.
J’aime beaucoup votre sensibilité.
Moi aussi j’ai quelque fois honte d’être un homme.
Michel Pelletier
Je ne crois pas qu’il ait honte d’être un homme. Il dit seulement que personne, homme ou femme, ne devrait se sentir obligé ou forcé d’avoir des relations qu’il ou qu’elle n’a pas entièrement désirées.
Merci. Ça redonne un peu espoir en l’humanité.
La maman en moi (d’une fille) vous dit merci. Vous me redonnez espoir en l’humanité.
Mon dieux , magnifique texte . Si seulement les hommes pourrait tous penser comme sa , je me sentirais peut être plus en sécurité .
Merci a toi
bravo pour ton texte mickael, si ça peut interpeller notre race alors, ça serait un début au respect du « non »
Ah mais j’adore l’analogie boiteuse (ou pas), c’est exactement ça!
Une fois, j’ai raconté à un ami qu’un autre ami (en couple) avait été vraiment insistant avec moi (en paroles et avec ses mains). Il était venu faire un tour et pensait vraiment qu’on allait faire bing bang, entre autres parce que je portais un gilet moulant et qu’on s’était adonné à une partie de jambes en l’air 10 ans auparavant. (Ah oui, ça veut tout dire.) Eh bien, l’ami à qui je l’ai raconté avait l’air troublé mais m’a quand même répondu de ne pas trop en parler, ce serait chien. Et vous savez quoi? Je n’en ai à peu près pas parlé. Parce que, malheureusement, dans notre petite gang, j’aurais probablement passé pour une agace qui invite ses vieux amis à prendre une bière quand la blonde est pas dispo. C’est comme ça.
D’énormes raccourcis ici !
Et ce commentaire est un vrai cul-de-sac.
Si seulement les hommes que j’ai croisés par le passé avaient eu ne serais-ce que la moitié de votre sensibilité … je porterais beaucoup moins de cicatrices »invisibles » aujourd’hui … merci d’être ce que vous êtes … ça me donne une mince consolation et l’espoir que oui, il existe encore en ce monde des hommes dignes de confiance et capables d’humanité. Je ne suis pas une victime, je suis une survivante mais j’aurais aimé être seulement une femme, point. Si tous les hommes avaient votre philosophie et votre sensibilité cela aurait été possible … continuez à partager votre idéologie, peut-être ferez-vous de plus en plus d’adeptes et ainsi permettrez-vous à l’humanité de se porter mieux ! Bref, simplement merci …
Hey bien, je ne suis pas seul… Pour revenir a ton dernier paragraphe, si tu avais changer d’idée une fois chez elle, y a des grosses chances qu’elle n’aurait pas accepté et fini par t’agresser. Le viol masculin, existe. C’est pas pareil, mais qu’elle homme n’a jamais couché avec une fille alors que ça ne lui tentais plus et a voulu acheté la paix.
Bravo pour ce commentaire! Je suis une femme (mon age commence par un 4 et j’ai une hypothèque, j’suis plus femme que fille)
Combien de mes amis masculins j’ai vu rentrer chez eux se sentant sales parce qu’une fille avait décidée que ce soir l’à elle allait se faire baiser et qu’en tant que fille elle pouvait « choisir » le gars qui allait lui donner du plaisir. Ils se sont laissé séduire, on payé le bill et le taxi pis on changé d’idée. Un gars qui dit non, ça fait rire de lui… donc il ferme sa gueule, bande mou pis fait ce qu’il peut pour pouvoit s’éclipser au plus vite. La fille va dire a ses chums que c’était une baise minable pis le gars va jamais dire a personne qu’il s’est fait abusé. Tant que ça peut arriver, je serai toujours égalitariste mais jamais féministe.
C’est drôle, c’est justement parce qu’un gars qui dit non fait rire de lui que je suis féministe. Cette idée selon laquelle un gars est une espèce d’animal libidineux toujours à la poursuite de sa prochaine baise est réductrice, sexiste et opressante, et c’est pas du féminisme qu’elle vient.
Merci du commentaire, j’ai pas souvent eu de one night, dû au fait que je n’aime pas le sexe sans sentiments. Mais une fois une fille était très insistante pour coucher avec moi, et étant saoul j’ai voulu acheté la paix et pas avoir l’air »moumoune ». Je me suis senti vraiment sale le lendemain et le feeling est resté plusieurs jours. D’ailleurs, qlqs jours après, la fille s’est excusé d’avoir été si insistante et s’est rendu compte qu’elle avait pas été correct..
J’ai 25 ans ça fait un bout que je cruise plus pour des raisons comme ça. J’ai jamais été agressée mais j’ai entendu beaucoup d’histoires moi aussi. Alors j’ai trop peur que ça m’arrive donc je n’ai jamais vraiment cruiser. Merci de me redonner espoir en l’humanité ^^ Je ne cruiserai pas plus mais j’aurais moins peur et ça, ça compte beaucoup ^^
Merci pour ce beau témoignage. Les hommes ne sont donc pas tous pareils. Ça me redonne confiance.
Cet article est un bijou, merci!
merci. du fond du coeur.
Juste MERCI
Beau texte (sauf peut-être le bout sur le fait de traiter la fille de conne… c’est correct de pas se donner la permission de lui manquer de respect juste parce qu’elle se respecte), mais suis-je la seule sur le cul de voir qu’un article doit être écrit pour quelque chose d’aussi évident?
Merci pour ce beau texte. Je m’y reconnais totalement.
Je suis tout à fait d’accord avec toi. Je fais partie de ces filles qui faisaient le party un peu fort un soir. Un ami – l’ex à une amie – m’a reconduit chez moi et je suis allée me coucher… pour me rendre compte dans un flash de consicence, comme dans un rêve, qu’on était dans l’acte. Je n’ai aucun souvenir de comment s’est arrivé, mais je sais que je n’ai jamais consenti. Je n’avais jamais été attirée par lui, même après avoir trop bu. J’ai essayé de le repousser, mais en vain. Le pire est que j’ai perdu des amies à la suite de cet incident…
Exact, même chez les filles, il y a quelque chose à changer dans la façon de penser. On en est encore à cette idée qu’un gars qui baise est un héros et une fille qui baise est une salope. Ça n’a pas de sens.
Tu veux qu’on se marie? ?
tres bonne l analogie est pas si bouetteuse 🙂