J’ai déjà des collègues qui écrivent sur les pièces présentées dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec, comme ce beau texte d’Émilie Rioux, mais je veux quand même glisser quelques mots sur ce que j’ai vu jusqu’à maintenant. Parce qu’on ne dit pas assez à quel point des événements comme le Carrefour sont importants. Comme l’était le Mois de la poésie. Il faut les chérir et les célébrer.
En fin de semaine passée, Mani Soleymanlou était de retour avec Ils étaient quatre. Le titre peut donner l’impression que c’est la suite de Un, Deux et Trois, une trilogie qu’il a présentée l’année dernière, mais non. Pentoute. C’est une nouvelle trilogie, prénommée Cocktail. Il aime les chiffres, c’est tout.
Ils étaient quatre, c’est quatre amis. Quatre comédiens qui ont fait ensemble leur cours de théâtre et qui jouent leur propre rôle. Mani Soleymanlou, assoiffé de sexe et fêtard assumé, Guillaume Cyr, nouveau papa au couple stable, Éric Burneau, comédien vedette qui recherche l’amour, et Jean-Moïse Martin, acteur de théâtre paumé qui n’aime pas les fêtes. On suit les quatre amis dans une fête. Alcool, drogues, drague. Tous, pour différentes raisons, auront envie de la même fille. Et ça dégénère.
Au-delà du choc de la trentaine, des questionnements sur l’amour, sur l’engagement, sur la place de l’homme dans la société, j’y ai vu la bête intérieure. Les quatre luttent contre un animal, présent dans leurs tripes. L’instinct qui frappe à la porte, les hormones qui hurlent au clair de lune. Ou cette tendance à l’endormir constamment, ce qui épuise tout autant.
Mise en scène dynamique, sans temps mort. Les quatre amis ne se parlent pas souvent entre eux. À tour de rôle, ils nous parlent, même s’ils se relancent, se contredisent et se narguent. On rit, beaucoup. En se présentant caricaturés, les quatre comédiens démontrent une grande générosité, ce qui ajoute beaucoup à la pièce.
Il n’y a plus de présentations au Carrefour de Ils étaient quatre, mais viendra ensuite, dans la trilogie, Cinq à sept et Huit. La suite l’an prochain?
Le voyeurisme s’est poursuivi mercredi soir, au Grand théâtre, avec Peepshow. Une enfilade de courtes scènes. Une adolescente qui drague dans un bar. Une jeune fille qui a peur du monstre sous son lit. Un loup qui court après une jeune fille. Une dame présentant sa plaie à une jeune fille.
Une pièce sur le monstre en nous. Sur le monstre qui se cache dans la société. Les monstres que l’on s’invente. Plusieurs moments déstabilisants, crispants. Quelque chose de surréaliste. De fragile, aussi.
Monia Chokri est impeccable dans son jeu. Entre la poupée et le cyborg, il y a un détachement qui voile un jeu d’une précision hallucinante. Bien que sa voix change constamment à l’aide d’outils technologiques, ceci ne demande pas moins une précision vocale de sa part. Elle réussit à nous faire ressentir chaque personnage, chaque émotion.
Ce n’est pas le genre de spectacle où l’on sort avec un sentiment de bien-être, avec un sourire aux lèvres. C’est un théâtre qui doit murir dans notre tête, comme le rhum dans son tonneau. Et c’est sûr qu’il rôdera dans notre tête, parce que Peepshow marque l’esprit.
Malheureusement, Peepshow n’était présenté que deux soirs au Carrefour.
Avec Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, c’est un monstre économique et solitaire. Quatre retraitées en Grèce s’enlèvent la vie. Pas parce qu’elles sont tristes ou malades, mais elles ont l’impression d’être un fardeau pour la société. C’est ce que les mesures d’austérité leur font croire. La Grèce n’a pas les moyens de s’en occuper.
La pièce italienne, jouée en italien avec des surtitres en français, gratte la question. Qu’est-ce qui peut pousser quatre retraitées à cette conclusion, à se suicider? Sont-elles sereines ou amères? Comment, comme société, pouvons-nous en arriver là?
Mon italien étant ce qu’il est, absent, on perd un peu cette magie et cette spontanéité en lisant les surtitres. Quelques punchs deviennent décalés. Néanmoins, c’est une pièce qui fait réfléchir sobrement, avec douceur et humanité. J’ai trouvé plusieurs réflexions intéressantes. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire des parallèles québécois. Quand l’État dit que te donner plus qu’un bain par semaine est trop, tu dois te sentir comme un fardeau. Un monstre qui passe son temps à dire qu’il veut prendre soin de nous lorsqu’il grafigne.
Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni est présenté au Périscope une autre fois, le samedi 4 juin, à 15h.
Détails: carrefourtheatre.qc.ca