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L’utopie de la sécurité

Je dois vous avouer quelque chose dont je ne suis pas fier: j’ai déjà eu une carrière de voleur. Zéro cleptomanie ou malice là-dedans. C’était un jeu intellectuel pour moi.

À ma défense, j’étais jeune. Ma honteuse carrière a commencé vers mes 9 ans et s’est terminée quelque part vers 12 ans ou 13 ans. La première fois, c’était involontaire. J’étais à l’épicerie avec ma mère et pendant que je l’aidais à transporter les achats, à court de place dans mes mains, j’avais glissé quelque chose dans ma poche de manteau avec l’intention de le sortir une fois à la caisse. Sauf que je l’ai oublié dans ma poche au moment de payer. Je m’en suis rendu compte chez moi, en fouillant dans mon manteau.

J’avais découvert une faille. À mes visites qui ont suivi, j’essayais de voir les autres failles du magasin. J’en avais trouvé une, je voulais trouver les autres. Pas pour en profiter, juste parce que ma curiosité avait faim. J’ai par la suite commencé à le faire dans tous les endroits. Ici, comment pourrait-on voler? Et là? Je spottais les caméras, les alarmes, les cadenas magnétiques et les gardiens en civil comme James Bond (ou presque).

Un jour, je me suis dit que mes théories étaient peut-être solides, mais ça restait de la théorie. Et comme l’a déjà dit Homer: «En théorie, Marge, en théorie, le communisme marche!» Alors j’en ai essayé une. Et une autre. Finalement, je les testais toutes. Je me foutais un peu de ce que je volais. Ma dopamine venait du jeu de comprendre la sécurité. Je me pensais bien intelligent.

Évidemment, j’ai fini par me faire prendre, dans l’épicerie où, ironiquement, tout a commencé. Un des moments où j’ai eu le plus honte dans ma vie, quand mon père a dû venir me chercher sur place. Ma morale est née durant cette nuit et depuis, je suis incapable de voler quoi que ce soit.

Aujourd’hui, encore, il m’arrive d’analyser la sécurité d’un endroit. Ça m’amuse (et ça m’occupe quand il faut attendre). Et des failles, il y en a toujours. Après, tout dépend des moyens et de la volonté pour profiter de ces failles. Il y a aussi des failles qui sont larges, comme un canyon, mais qui sont tellement fatales que ça prend un kamikaze pour en profiter.

Tout à l’heure, dans un bulletin, un jeune Français ne comprenait pas comment un camion a pu rouler sur les gens, comme ça, à Nice. Il ne comprenait pas pourquoi il n’y avait pas a priori un barrage policier, au début du boulevard. Cette faille de sécurité est évidente. N’importe qui qui fonce à 100 km/h sur une rue, qu’elle soit bondée de voitures, de vélos ou de piétons, fait de gros dégâts. Mais faire ça demande un contexte psychologique tellement particulier que c’est impossible calculer cette probabilité-là.

Admettons qu’on bloque les rues dès qu’elles sont barrées. Admettons que les barrages sont même assez solides pour résister à un tank. Il restera encore bien des failles. Quand emprisonnerons-nous nos villes sous des cloches de verre?

Nos vies sont remplies de ces énormes failles. La vie est un risque en elle-même. De manière moins lyrique, tous les systèmes ont leur faille. S’il y a bien quelque chose que les films d’espionnages et de cambriolages nous ont appris, c’est bien ça!

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De l’autre côté de notre frontière, l’inénarrable Donald Trump se dit être le candidat de la sécurité et de l’ordre public. Sauf que ce n’est pas ça, la sécurité.

La sécurité, ce n’est pas un système d’alarme. Ce n’est pas une surveillance par caméra. Ni un quartier privé et clôturé.

On confond de plus en plus sécurité et protection. Être en sécurité et se protéger sont deux choses différentes. Dans un lieu réellement sécuritaire, on n’a pas besoin de se protéger. Tu te protèges quand c’est dangereux, que tu as peur.

S’il faut se protéger, c’est qu’il y a un os quelque part. Quelque chose cloche. Avec les tensions raciales aux États-Unis, on le voit, ça explose. Des drames qui ne devraient pas exister.

Une personne qui souhaite vraiment la sécurité n’encourage pas le port d’armes et n’encourage pas les tensions sociales en caricaturant des peuples avec des préjugés. Une personne qui souhaite vraiment la sécurité ne construit pas des murs, il ouvre sa porte. Il partage et prend soin des autres.

La sécurité passe par la gentillesse et non par la méfiance. La sécurité passe par l’égalité et l’intégration, pas avec des mots tels que «nous» et «eux». La sécurité ne peut exister que si l’on fait confiance aux autres.

Tu ne peux pas espérer une sécurité générale tout en la donnant qu’à certains, en passant ton temps à te protéger sans te soucier des autres, en les excluant de ton propre confort ou en leur crachant dessus.

Tu ne peux pas être en sécurité si tu appuies une violence, qu’elle soit militaire, politique, religieuse ou économique.

C’est comme si dans les années 1980 on avait mis tous les fonds de recherche sur les manières de se protéger du SIDA en oubliant de donner à la recherche sur la guérison du SIDA.

La course à la sécurité est un leurre. C’est pelleter par en avant.