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La victime paie toujours deux fois

Anick, un nom fictif, aurait pu simplement laisser tomber son emploi et arrêter de se faire chier en travaillant ailleurs. Sauf que ce serait pour elle une défaite et surtout injuste. Pourquoi serait-ce la victime qui devrait quitter et non l’agresseur?

Son histoire ressemble à trop d’histoires. Elle me rappelle beaucoup celle de Caroline Lamarre de Baie-Trinité. Le maire de la petite municipalité de la Côte-Nord a été reconnu coupable d’agression sexuelle envers Caroline Lamarre. Néanmoins, c’est elle qui se ramasse sans emploi. Il y a une ordonnance stipulant que l’agresseur ne peut se trouver sur les lieux de travail de la victime, sauf que lui, rien ne l’oblige à quitter son poste. Si lui ne part pas… c’est donc elle qui doit partir. Non seulement la victime a subi une agression, mais en plus, elle perd son emploi. Et pas besoin de dire qu’à Baie-Trinité, on ne retrouve pas un emploi facilement. La victime paie deux fois. Sans avoir rien fait de mal.

De son côté, ce n’est pas une agression sexuelle qu’a subie Anick, mais ça demeure une agression, du harcèlement psychologique, venant de son supérieur. Là aussi, l’État y est mêlé, puisqu’elle travaille pour une société d’État. Là aussi, nous nous retrouvons en région éloignée. Engueulade au téléphone, refus de reconnaissance de son expérience au contraire de ses confrères masculins, être dénigrée lorsqu’on pense s’installer durablement dans la région, être la seule personne exclue des formations, se faire reprocher ses initiatives, réputation de fille facile, se faire dire d’aller acheter des batteries pour ses jouets sexuels, recevoir les tâches que personnes ne veut faire, etc.

C’est lourd, tout ça. «Je n’ai jamais eu de problèmes avec mes employeurs et là, je subis tout ça, je ne suis plus capable», lâche Anick, entre deux sanglots. Alors qu’elle n’a jamais couché avec un confrère de travail, une réputation s’est construite bien malgré elle. Elle peut se faire demander de tailler une pipe alors qu’elle promène son chien dans la rue, ou qu’elle va dans une quincaillerie ou simplement sur Facebook. Ironiquement, lorsqu’elle a finalement fait une plainte et qu’une enquête s’est ouverte, cette réputation a pris de la vigueur… tout en apprenant que son patron qui l’agresse s’inquiète pour sa réputation. «Il a peur pour sa réputation… et la mienne là-dedans?»

Alors que l’enquête est normalement confidentielle, son patron a lâché, en réunion et devant Anick, qu’elle avait demandé une enquête sur lui. Imaginez la pression qui est tombée sur Anick. Elle est devenue une paria. «Tout le monde s’est mis à me regarder de travers.»

Il semble que Anick dérange son patron. Si elle ose jouer avec une couette pendant une réunion, elle joue son aguicheuse. Si son chandail se lève et dévoile un peu de son ventre pendant qu’elle fait un travail, qui est manuel, elle cherche à allumer ses collègues. Si elle fait un compliment à un collègue, elle cherche à l’avoir dans son lit. Pourtant, rien de tel lorsqu’elle doit, elle, se taper leur craque de fesses ou leur bedaine.

Comme si ce n’était déjà pas assez, une conseillère syndicale lui a dit qu’elle pouvait aller avec elle dans un magasin pour acheter du linge approprié. Encore une fois, ce ne sont pas les hommes qui ne contrôlent pas leurs hormones le problème, mais le linge de la femme. Quand ce n’est pas une cuisse, une épaule ou une cheville qui excite, c’est le burkini qui habille trop. Pourquoi changer des comportements quand on peut changer le linge?

La semaine passée, elle a appris que l’enquête a conclu que la plainte n’était pas fondée. «Lui, aux yeux des autres, il est super gentil. Il a l’air d’un bon gars.» Pourtant, sa psychologue refuse qu’elle retourne au même endroit, si son supérieur demeure là. Sa psychologue l’a mise en arrêt maladie. Elle fait une dépression. Mais on dit, du côté de son employeur, que sa dépression n’est peut-être pas due à ça. Quelles preuves doit-elle présenter? Doit-elle se promener avec une caméra cachée?

Même si elle est à boutte, même si elle ne voit pas comment elle pourrait retourner travailler là-bas, la société d’État qui l’emploie souhaite qu’elle revienne dans deux semaines. Je l’ai dit au début, Anick est une battante. Hors de question de plier. Si les mécanismes internes ne fonctionnent pas, elle pourrait aller cogner à la porte de la justice.

Son histoire est remplie de conneries et de jeux politiques. De quoi aurait l’air la société d’État si un gestionnaire faisait du harcèlement? Et combien ça coûterait remplacer ce gestionnaire? Ça serait beaucoup plus simple si c’est Anick qui partait. Et à lire et regarder les différents rapports, il semble que ça soit ça, leur plan.

Pour l’enquête, on lui a demandé au début de signer une entente de confidentialité (qui n’a pas été tout à fait respectée, ceci dit, de leur côté). Une belle manière de se donner du temps pour gérer la «crise» avec le moins de dommages pour l’employeur. Une manière polie, bien souvent, de dire un gros «fuck off» à l’employée brimée. Si c’était vraiment l’employée qui était dans le tort, pourquoi voudrait-on la faire taire?

Même si on revire ça de bord, que l’on refuse de croire Anick et sa psychologue, même si on pense qu’Anick est une mauvaise employée aguicheuse et fouteuse de merde, je ne pense pas que son gestionnaire serait un exemple de leadership pour autant. Ça demeurerait une mauvaise gestion. Son patron devrait quand même se faire montrer la porte. Si c’est comme ça qu’il gère des cas problèmes, il ne serait pas à sa place quand même.

Tu représentes l’État. Qu’importe que ce soit Loto-Québec, Hydro-Québec, Héma-Québec, la SAAQ ou la SÉPAQ, en tant que société d’État, tu dois être exemplaire. Tu ne peux pas en tant que société et État voter des lois pour l’égalité des sexes, contre l’intimidation, contre le harcèlement, et laisser des patrons rabaisser et harceler des employés.

Revenons à la conclusion de cette enquête: plainte non fondée. Sans explication. Pour savoir pourquoi on juge que sa plainte irrecevable, elle devra faire une demande d’accès à l’information.

Je vous le demande franchement, comment Anick pourrait-elle se sentir bien? Comment pourrait-elle avoir envie de retourner travailler avec ce même patron, dans la même société d’État, avec les mêmes collègues qui ont dû se faire raconter plein d’histoires?

On pousse pour qu’elle parte. C’est la solution facile, comme le linge des femmes. On ne change pas un comportement ou une culture d’entreprise, on change le morceau. On glisse Anick sous le tapis. Et pendant ce temps, son agresseur, lui, peut continuer de piétiner ce tapis qui camoufle tout ce qui ne va pas.

Ce texte n’aidera pas Anick, malheureusement. Pas directement. Ces situations doivent néanmoins être dénoncées. Ces situations arrivent encore aujourd’hui parce que la majorité se fait silencieuse. Parce que le système en place n’encourage pas les victimes à goûter à la justice. C’est un système comptable, qui souhaite juste contrôler les dérapages. Pas à les éviter, pas à les éliminer, mais à contrôler les dommages collatéraux.

C’est aussi une manière, pour moi, de saluer le courage d’Anick. Il en faut du courage pour se tenir debout dans ce système. Pour endurer ça. Pour aimer son travail encore, malgré cette ambiance qui sent le fumier. Il en faut du courage pour souffrir comme ça afin que d’autres femmes, qui passeront après elle, ne subissent pas ça.

Je l’ai dit dès le départ, Anick pourrait partir, aller travailler ailleurs. Elle aurait une vie plus tranquille, moins stressante, plus légère. Mais son agresseur serait encore là, avec un rôle autoritaire, comme s’il était un bon gestionnaire, un humain respectable. Et ça, ça lui fait encore plus mal que sa propre souffrance.