BloguesPlan B

Parce qu’il n’y a pas juste Céline

J’ai eu la chance, et la malchance dans certains cas, d’être juge dans plusieurs concours musicaux. C’est un peu un incontournable quand on fait du journalisme culturel. Des Francouvertes aux Secondaires en spectacle, j’en ai vu de toutes les couleurs!

Une chose qui m’a toujours frappé dans ces concours est le choix des chansons des participantes. Particulièrement lorsque le concours s’adresse à des moins de 20 ans. La majorité des pièces proviennent souvent des mêmes artistes. Plus encore, rien de surprenant d’entendre plusieurs participantes reprendre la même chanteuse.

Céline Dion, par exemple. Adele. Lara Fabian. Des chanteuses à voix.

Du côté des participants, c’est plus varié. Il y en a aussi des chanteurs à voix, mais c’est plus rare que les inspirations se répètent. On voit plus de bands de gars aussi. En fait, un band de filles, c’est encore rare, point.

Tout ça m’est revenu dans la foulée du statut Facebook de Koriass et du texte de Laurence Nerbonne sur Urbania. Lors d’une activité mettant en vedette des Révélations Radio-Canada, Laurence était la seule femme sur 13 artistes invités.

Il y a clairement eu un manque de recul du côté de Radio-Canada, mais ceci démontre encore une fois le poids culturel d’un système qui, en théorie, est égalitaire, mais qui se bat encore contre de vieilles habitudes. Le fameux problème systémique.

Malgré la présence de femmes comme Ariane Moffatt, Marie-Pierre Arthur ou Lisa Leblanc dans notre coin, malgré la présence de groupes comme les Hay Babies, Pack AD, les Soeurs Boulay, il manque cruellement de modèles féminins pour les jeunes filles. On les gave davantage d’interprètes, de vedettes, comme Céline Dion, justement, ou Rihanna, Kesha, Taylor Swift et compagnie.

Comme le faisait remarquer Laurence Nerborne dans son texte, les filles sont encore souvent coincées dans des rôles d’interprètes ou de choristes.

Il y en a des hommes qui ne font de l’interprétation aussi, mais pour une fille qui joue dans un groupe, combien de gars peut-on nommer? Des dizaines? Combien de fois entend-on une musicienne dire qu’elle passe son temps à être entourée de gars? Presque toutes celles que j’ai interviewées ces 15 dernières années. Combien de fois ai-je entendu un musicien dire qu’il passe son temps à être entouré de filles? Seulement les machos qui se vantent d’avoir plein de groupies.

Allez, juste pour le plaisir, regardons un peu les palmarès de cette semaine. À CHYZ, on retrouve que 3 femmes sur 10 artistes. Pour Rouge FM, 11 artistes féminins sur 25. À CKRL, on revient au ratio de 3 femmes sur 10 artistes. Pour CISM, on a 8 femmes sur un palmarès de 30 artistes. Ça ne fait pas une grosse moyenne au bâton. Et on remarque que le meilleur ratio est dans la musique pop, comme je disais.

La jeune génération me donne quand même espoir. Des Sarah Toussaint-Léveillé, Klo Pelgag, La Bronze, même des Lady Gaga, à la limite. Parce que ces artistes ont non seulement une personnalité forte, une vision artistique assumée, mais elles composent, elles jouent de la musique. Je ne veux rien enlever aux interprètes, mais la musique ne se résume pas qu’à ça. Il faut des modèles, partout, diversifiés!

Vous me direz que rien n’empêche les filles de faire de la musique, de se partir un band, de conquérir le monde, de foncer dans le tas. C’est sûr! Et j’encourage tout le monde à foncer dans le tas. Mais ce n’est pas aussi simple.

On le voit bien avec tous les scandales qui sortent dans les médias. Bien souvent, la personne se défend en disant que c’est légal, ses affaires. Comme Donald Trump qui se pense intelligent d’avoir utilisé les failles des lois fiscales pour ne pas payer d’impôts. La loi et la morale, la loi et le poids social, ce sont des choses différentes.

Nous sommes tous égaux devant la loi, ça n’empêche pas des gens d’être racistes, d’avoir peur de louer des appartements à des immigrants, de ne pas rappeler un candidat pour un poste parce que son nom est «étrange», ou de trouver une raison d’engager un homme plutôt qu’une femme parce qu’on a peur qu’elle tombe enceinte un jour.

C’est pour ça que depuis quelques semaines, je m’efforce d’être paritaire dans mes choix musicaux à la quotidienne que j’anime et réalise à CKIA. Et j’insiste et persiste, même si je dois répéter un peu plus mes choix féminins (un autre symptôme).

Ça ne suffit pas d’être pour l’égalité, encore faut-il l’encourager, la mettre en pratique.

Pendant longtemps, l’égalité des sexes était pour moi une évidence et je ne portais pas particulièrement attention. Pour moi, c’est tellement normal et même inné, cette égalité, que je laissais le hasard aller. Sauf que ce hasard, un peu comme la main invisible en économie, crée des inégalités, malgré ma bonne foi.

Ce n’est pas tout d’être pour l’égalité, si on ne combat pas les inégalités, ces dernières vont demeurer.