Entre vous et moi, Noël, c’est lourd. Je ne parle même pas des achats, des soupers, de la musique. Juste Noël.
Le problème, c’est que Noël est partout. On ne peut pas l’éviter. On se fait gaver comme des oies et le monde en redemande. Ceux et celles qui disent «non» se font durement juger et causent des crampes de sourcil tellement l’interrogation est profonde.
Mais si ce n’était que ça.
Vous l’aurez deviné, je ne fête pas Noël. En fait, je ne fête aucune fête, sauf les anniversaires. Oust la St-Valentin, la fête des Mères et des Pères, Halloween, Pâques, Action de grâce et compagnie. Je ne fête que les anniversaires des gens que j’aime.
Toutes ces fêtes sont faciles à éviter. Il y a beau avoir des cœurs partout, la St-Valentin est facile à contourner. C’est encore plus facile avec Pâques ou l’Action de grâce, qui ne veulent plus dire grand-chose de toute façon, sauf dans certaines familles.
Noël, c’est autre chose. C’est une dictature qui occupe toute la place. Même l’éclipse médiatique lorsque PK Subban a été échangé est de la petite bière, parce que ça dépasse les médias. C’est pas juste que pendant deux semaines, les films à la télé tournent autour de Noël et de la mauvaise musique de Noël à la radio. C’est partout dans les rues, dans les conversations, dans les mœurs, c’est dans l’ADN de la société qui transforme son rythme, ses habitudes et ses couleurs pour cette fête seulement.
Ta seule alternative est de prendre ton trou, mais ton trou a besoin d’être bien profond pour ne pas le subir malgré tout. L’ouragan Noël est de classe 9. Il te faut un abri antinucléaire pour t’en sauver.
En même temps, il y a quelque chose d’un peu insultant que la seule manière d’éviter une fête culturelle est de devoir se terrer.
Ça fait des années que je rêve de partir loin, dans un trou (perdu ou non), pendant les Fêtes, mais mes moyens financiers ne me le permettent jamais. Il faut dire que les trous où Noël pourrait ne pas exister sont loin. Et rares.
Je ne trouve pas ça difficile parce que je suis seul à Noël – ce n’est pas un problème de solitude –, je ne trouve pas ça difficile parce que je suis un grincheux, je trouve ça difficile parce que je voudrais simplement m’en ficher, mais le monde m’empêche de m’en contrecalisser.
Noël est la seule fête que je subis même si je m’en fiche, même si je voudrais juste la laisser passer. En fait, c’est ça le hic, on ne peut pas faire comme si c’était pas là, contrairement à tout le reste dont je me contrefiche.
Ça fait 20 ans que je ne fête plus Noël et même ma famille a encore de la misère à comprendre. Il faut dire, aussi, que j’ai arrêté de me battre pendant quelques années. Premièrement, tu ne peux pas empêcher quelqu’un de vouloir te donner un cadeau. Ensuite, ça demande moins d’énergie aller à un souper que de tenter d’expliquer pourquoi ce souper ne te tente pas vraiment. Tenter d’expliquer que ce n’est pas eux tu ne veux pas voir, mais que le contexte te gosse. Mais même lorsque je fais ces compromis, ça demeure lourd.
Ils sont bien intentionnés, et je sais que pour eux, c’est presque un souper de famille comme un autre, ou du moins, une excuse pour en faire un, mais c’est biaisé. Il y a des décorations de Noël partout, il y a de la musique de Noël, il y a des cadeaux de Noël. Il n’y a absolument rien qui ne fait pas référence à Noël. Et il faut que je fasse semblant que ça me fait plaisir. Pis j’ai de la misère à faire semblant.
Noël me rend mal à l’aise, mais si je l’exprime, je gâche leur fun. Pis je l’ai dit, je ne suis pas un grincheux, mon but n’est pas de tuer Noël et d’empêcher les gens d’aimer Noël…
Essayez de faire un conseil d’administration dans une loge du Centre Bell pendant un match du Canadien. Tu auras beau tenter de dire à celui qui n’aime pas le hockey que c’est une réunion comme une autre, il va juste subir le Canadien et la réunion n’en sera pas vraiment une. Ses collègues vont le trouver poche et lui va trouver ses collègues poches. Personne n’en sort gagnant, même s’ils s’aiment ben fort quand même.
Je ne veux pas gâcher le Noël de ceux et celles qui aiment cette fête, au contraire. Je trouve ça beau quand c’est un vrai moment d’amour. Ça m’intéresse juste pas, comme je ne m’intéresse pas à Kim Kardashian (la preuve, j’ai dû googler son nom pour être sûr) ou à la course automobile, mais contrairement à presque tout, la société me l’enfonce de force.
Bien oui, je suis content d’être en congé, mais j’ai souvent préféré travailler pendant les Fêtes, c’était une rare porte de sortie pour éviter tout le reste. Une manière de m’extraire du moule. Un peu.
Signe du monopole de Noël: essayez de faire quelque chose à Noël qui ne soit pas relié à Noël. C’est un désert aride.
Tes seules activités possibles doivent se faire seul (chez toi dans le noir). Parce que tes amis sont inévitablement en train de fêter Noël dans leur famille ou un autre party. Tout est fermé parce que c’est Noël. Et ce qui est ouvert est en mode Noël. Aucune autre fête ne monopolise autant la société. Le problème, c’est l’absence d’alternative.
Même les marginaux se font des activités de Noël. Même faire des «anti Noël» ou des «soirée pas de Noêl» revient à démontrer la monopolisation de l’espace et du temps par le gros barbu rouge et blanc. Je voudrais juste pouvoir faire de quoi qui n’a aucun lien à cette fête, ni pour, ni contre, juste neutre, juste pas relié.
Mais le poids du temps des Fêtes est si lourd, que si on fait une activité qui n’est pas reliée à cette célébration autour du 25 décembre, et encore plus le 24 ou le 25, il faut absolument le mentionner. Pourtant, si on fait une activité qui n’est pas en lien avec la St-Valentin le 14 février, on n’a pas nécessairement besoin de le spécifier. La société accepte ce hasard. Pas à Noël. Il n’existe rien d’autre le 10 et le 26 décembre que Noël. Sauf des gens chez eux qui attendent que ça passe.
Et la plupart du temps, ça passe pas vraiment vite.