«Pour vrai en 2016, on voit beaucoup plus de discrimination envers l’homme blanc moyen qu’envers n’importe quelle autre couche de la société», a lâché Denis Gravel, animateur à CHOI, en septembre dernier, en compagnie de Jonathan Trudeau et de Richard Martineau.
Il faut être quand même déconnecté pour lâcher un truc comme ça. Qu’importe la manière dont on regarde les statistiques de racismes, d’agressions sexuelles, de discriminations genrées, d’exclusions à l’emploi ou au logement, de taux de chômage, de taux de surqualification professionnelle, de pauvreté, bref, si on regarde une statistique de discrimination, ce n’est jamais l’homme blanc moyen qui s’y retrouve le plus lésé. Ce sont les femmes, les noirs, les arabes, les musulmans, les handicapés, les immigrants, les personnes obèses, les homosexuelles, les personnes transgenres, les personnes âgées… mais jamais l’homme blanc de 25-45 ans. Jamais!
Après que Webster lui ait expliqué le racisme que lui ou ses proches peuvent vivre quotidiennement, Jeff Fillion lâche en ondes: «Ça, je me fais traiter d’imbécile à tout bout de champ là. Un imbécile qui arrive et qui fait ce genre de commentaire gratuit là, moi je ne suis pas noir, mais pour des raisons x, pour mes idées, pour ce que je représente, j’ai ça aussi.»
Jeff, tu te fais traiter d’imbécile pour tes idées, tu le dis toi-même, pas parce que t’es un blanc croisé au hasard au coin d’une rue, c’est une opinion méchante, mais basée sur quelque chose. Pas le racisme. C’est tellement pas la même affaire.
C’est un peu le sujet de ma prochaine chronique dans le magazine VOIR (qui sort ce jeudi 2 mars), un appel aux privilégiés à tendre l’oreille pour écouter les minorités. De les écouter et surtout d’accepter ce qu’elles disent.
Il y a toutefois un aspect que je n’aborde pas, ou que je ne fais qu’effleurer dans cette chronique, et c’est la relation du privilégié avec son privilège.
Je ne crois pas, par exemple, qu’une personne privilégiée doit avoir honte d’être ce qu’elle est. La personne au corps athlétique n’a pas à avoir honte d’avoir ce corps devant une personne handicapée ou une personne obèse ou autre maladie. Elle n’est pas obligée d’exploiter le potentiel de son corps et devenir une grande sportive olympique, comme elle peut aussi en profiter.
La fille à la beauté universelle (pour le peu que ça existe) n’a pas à avoir honte de plaire à la majorité des gens devant une personne dont la beauté est hors-norme. Elle peut même en profiter pour s’amuser dans le jeu du charme si elle est bien là-dedans. Tant mieux.
La fille au nom typiquement québécois, genre Julie Tremblay, n’a pas à avoir honte de son nom (même si elle peut le trouver banal), devant une personne dont le nom est clairement d’origine iranienne, chinoise ou congolaise. Elle n’a pas à refuser l’emploi qu’elle obtient plus facilement que l’autre parce que son nom ne fait jamais peur à aucun employeur.
Le gars n’a pas à avoir honte de ne pas se sentir constamment en danger dans la rue la nuit, de ne pas craindre de se faire pogner une fesse par des mononcs, de ne pas subir continuellement de blagues sexuelles, de ne pas avoir l’impression que pour avoir une augmentation ou avoir un contrat qu’il faille coucher avec le patron. Il peut même en profiter de son statut de privilégié et de mener les projets qu’il a envie de faire.
Tu as la chance d’avoir un outil qui t’ouvre des portes, ouvre les. C’est correct. Utiliser ses atouts ne veut toutefois pas dire en abuser aux dépends des autres et le faire sans être conscient de son privilège. L’idée est d’avoir du respect et de la compréhension. N’aie pas honte, mais fait pas chier non plus! Et tu peux les utiliser pour aider les autres, en passant.
Comme personne obèse, je subis une forme de discrimination, mais en tant qu’homme blanc, je profite aussi de plusieurs privilèges et j’en suis conscient.
En fait, on utilise le mot privilège, mais ça ne devrait pas être un privilège. Tout le monde devrait avoir les mêmes accès, devrait pouvoir ouvrir les mêmes portes et faire des choix selon ses envies, ses goûts, ses ambitions, ou ses absences d’ambition. C’est un privilège parce que plusieurs personnes sont brimées dans leur liberté d’action.
Donner une liberté d’action à une autre personne ne vient pas m’en enlever. Si je milite contre la discrimination raciale, religieuse ou genrée, je ne m’enlève aucune liberté d’action. Bien au contraire, j’applaudis lorsqu’une personne a la même liberté que moi et j’espère avoir un jour accès à la même liberté que d’autres sur certains aspects.
Cette très longue introduction – ouais, ce n’est que l’intro encore – pour faire comprendre à quel point je ne comprends pas la haine des gens envers ceux et celles qui subissent une discrimination et qui la nomment. Pourquoi frapper quelqu’un qui se relève?
Je veux donc saluer ces femmes qui alimentent le débat public sur le féminisme, malgré la trop grande et répugnante haine qu’elles reçoivent. À ces femmes que trop d’hommes tentent de mettre dans des cases, que trop d’hommes tentent de leur dire comment elles devraient se sentir et comment elles devraient agir.
Je veux donc saluer toutes ces personnes des minorités culturelles, religieuses, physiques, sociales et hors-normes qui se battent pour alimenter le débat public sur toutes les formes de discrimination que la société et/ou des gens mettent en place, consciemment ou non – souvent, c’est inconscient, une forme de coutume ou mauvaise habitude bien ancrée.
Lorsque j’écris contre le racisme, je ne me fais pas traiter de sale nègre ou de terroriste. On m’obstine sur mon contenu (tout en insultant les «autres»). Lorsque j’écris sur le féminisme, on ne dit pas que j’ai un pénis plein de sable, que je dois être mal baisé, que je devrais me taire et retourner à la cuisine, que j’ai un cerveau de la grosseur d’un petit pois et que je suis automatiquement con parce que j’ai un pénis. Surtout, je ne reçois aucune photo de vulve ou de vidéos d’une fille en train de pisser sur ma photo. Tant mieux, parce que c’est le comble de l’absence d’arguments.
Il n’y a que lorsque j’écris sur l’obésité et ses discriminations que je reçois des insultes. Comme si les personnes minces se sentaient attaquées. Franchement.
Mais ce n’est rien ce que je subis devant tous ces gens précédemment nommés. Je trouve ça terriblement triste et ça me fait mal quand je vois des femmes dire qu’elles ont besoin de passer à autre chose parce que vouloir améliorer le monde et faire prendre conscience de nos tords collectifs est un poids rendu trop lourd à porter devant la montagne d’insultes qu’elles reçoivent.
Sauf que je comprends et je ne peux que saluer votre courage. Un courage que la très grande majorité des gens qui lancent ces insultes n’auront jamais. Ne pas plier devant l’adversité est un acte de foi et un geste fort. Se tenir debout devant un vent d’une telle rage ne mérite que le respect, même si on n’est pas en accord avec le propos ou la manière dont il est avancé. Vous êtes fortes.
Je salue mes collègues des émissions féministes Les Simones et Mes amies de filles que je côtoie à CKIA. Je salue mes soeurs Duchesses de la Revengeance des duchesses. Je salue Marjorie Champagne qui signe des chroniques féministes à mon émission. Je salue celles qui ont lancé le magazine Francoise Stéréo. Je salue celles qui ont crée et continuent à alimenter Je suis féministe. Je salue les femmes derrière #DéciderEntreHommes, Québec contre les violences sexuelles, VidéoFemmes (même si c’est fusionné avec SPIRA), les comités femmes sur les campus, les livres Caresses magiques, la Fédération des femmes du Québec et la longue liste qui pourrait continuer. Je salue ces chroniqueuses qui annoncent un certain virage: Judith Lussier, Manal Drissi et Geneviève Petterson.
Merci d’avoir alimenté le débat. Merci d’avoir éclairé les coins sombres. Merci d’avoir fait réfléchir.
Je vois quand même votre salut comme la tag à la lutte. Vous avez mené le combat et fait des bonnes prises à l’adversaire. Maintenant, vous revenez l’autre bord du ring le temps de souffler, tout en faisant la tag à une personne de votre équipe qui ira faire d’autres clés de son crû et qui saura surprendre l’autre équipe, comme vous avez su le faire.
Finalement, parce que je trouve c’est relié, j’ai écris un texte la semaine dernière sur la méchanceté gratuite et la haine. Je vous propose de le lire, si vous n’êtes pas encore noyés par mes mots.
Bravo et merci pour le soutien!
Perso, il y a longtemps que j’ai limité mon militantisme par, justement, épuisement psychologique. C’est rought de toujours se battre contre la masse….
Wow , Michaël Bergeron , merci , pour cet admirable texte 5 – étoiles !