Vous vous souvenez sûrement du dernier passage de Bernard «Rambo» Gauthier à Tout le monde en parle, en janvier. Ses propos sur les femmes et la politique ont fait le tour de l’Internet québécois. Plein de gens ont déjà bien répliqué (avec doigté et intelligence) à ce sujet. C’est quand même une évidence que les femmes ont leur place en politique, même si certains s’entêtent à ne pas le voir.
Il y a autre chose que notre nouveau politicien a dit, par la suite, et qui me gosse. Surtout qu’on l’entend souvent, ce cliché. En gros, Bernard dit qu’il faut comprendre qu’il n’a pas fait d’université et qu’il parle avec ses tripes. Bref, il est mal éduqué, alors il faut lui pardonner, quand il s’exprime tout croche.
Vous savez quoi? Moi aussi, je suis mal éduqué. Moi non plus, je n’ai pas de diplôme. Je n’ai même jamais fait de CÉGEP. C’est dire à quel point je suis inculte. Tous vos doutes se confirment : je suis un gros cave, incapable de réflexions spontanées et intelligentes. Mais je dois sûrement compenser par mes tripes. Merci ben gros pour votre indulgence.
Je cherche, je me gratte la caboche, mais je ne vois pas pourquoi l’érudition empêcherait de parler avec ses tripes. Je ne vois pas non plus pourquoi parler avec son cœur serait en opposition avec des propos intelligents et décents.
Pourtant, le cliché est solide. C’est la mode aujourd’hui pour les politiciens de cacher leur éducation. Stephen Harper n’a jamais mis de l’avant sa maitrise en économie, il prônait cette image de l’homme «ordinaire», «près du peuple». Michael Ignatieff s’est fait reprocher son érudition. Jean-François Lisée fait tout pour briser son image d’intello qu’il a eu toute sa vie – et qui a longtemps été sa force – depuis qu’il est chef du Parti Québécois.
La population aurait-elle autant pardonné à Rob Ford s’il avait eu un doctorat? S’il n’avait pas l’air de parler avec ses tripes? S’il avait parlé avec éloquence?
Il faut le dire, en plus, on a tendance à mélanger bien des affaires. Parler simplement prendrait sa source du cœur, alors que parler avec de grands mots serait inévitablement froid, sans émotion, suspicieux.
Parler fort, ou avec passion, serait aussi un signe d’honnêteté. Dire les choses crûment serait aussi un gage d’authenticité. Si c’est cru, c’est que c’est vrai! Comme si mentir exigeait de l’intelligence. Comme si être posé voulait dire cacher quelque chose.
J’en reviens à Stephen Harper, vous n’allez pas me dire qu’il avait l’air chaleureux, quand même. Mais lui, parce qu’il ne dégageait pas l’image de l’intello, on s’empressait de dire « Oui, mais, en fait, il est intelligent en maudit t’sais », comme on le fait avec Anne-Marie Losique. Pour les personnes qui ne dégagent pas l’image du professeur d’université, c’est un atout caché d’être intelligent, mais pas pour ceux qui s’affichent intellectuel.
Moi qui viens d’une famille n’ayant aucun universitaire dans les membres proches, très peu dans celle élargie, qui n’avait même pas de bibliothèque à la maison, moi qui n’ai aucun diplôme, on me traite parfois de snob parce que je fais une référence à un philosophe, à un poète ou à une étude scientifique lue dans une revue. J’avais beau m’habiller tellement croche qu’on m’a déjà pris pour un clochard, je passais quand même pour un snob parce que j’aime réfléchir ou que je n’ai jamais écouté Le banquier.
Tu as beau parler avec tes tripes, ça n’excuse aucunement de dire des âneries. Tu as beau avoir parlé sur le coup de l’émotion, ça n’excuse pas les propos blessants que tu peux lâcher. Parler avec son cœur n’enlève pas l’importance de la pertinence et de la cohérence.
Ceci dit, certains intellos ne sont pas mieux lorsqu’ils crachent sur le populaire et le populisme avec une condescendance indigne des valeurs qu’ils prétendent défendre.
Si plusieurs personnes excusent « Rambo » de l’échapper parce qu’il parle avec ses tripes, d’autres le discréditent automatiquement pour la même raison, ce qui est tout aussi triste. Il ne dit pas que des niaiseries, Bernard. Il décrit une frustration bien réelle et facile à comprendre, parce qu’elle est vécue dans plusieurs régions ressources du Québec.
En fait, voilà sûrement ce qui me gosse le plus dans tout ça, et qui est mis en évidence avec les « faits alternatifs », ou avec le dossier du transport à Québec, le fossé qui se creuse tellement rapidement dans les débats. Comme si le monde se divisait toujours en bons et en méchants.
Avec moi ou contre moi. Et si tu es contre moi, tout ce que tu diras n’aura jamais aucune pertinence, aucune intelligence, aucune émotion. Si tu es contre moi, tout ce que tu es et tout ce que tu représentes n’a aucune valeur. Et si t’es avec moi, je vais te soutenir, même quand ça n’aura pas de bon sens.
C’est tellement lourd. Le débat n’est pas une guerre. La vie n’est pas une guerre.
Que ce soit du cœur, de la tête ou même du cul, me semble que l’important, c’est d’être cohérent et honnête, non?
Non?
Mon « non » est un cri du cœur. J’ai un peu peur de votre réponse.
Mickaël, c’est l’un des meilleurs textes que j’ai eu le plaisir de lire récemment. Je comprends tellement ce que tu veux dire!!! La tête, le coeur, tout ça peut être authentique ou non, quel que soit l’emballage et le fait qu’il y ait DES, BAC, PHD ou rien du tout écrit dessus. Il y a tellement de préjugés de part et d’autre, aussi bien chez «le peuple» que chez les «intellos». Je ne saisis toujours pas pourquoi on se méfie des gens qui s’expriment (trop) bien: les soupçonne-t-on de vouloir nous endormir au gaz, nous embobiner? Est-ce que c’est pour cette raison que je me suis mise, inconsciemment, à ajouter des expressions populaires ici et là quand je fais des conférences? Pour «faire partie de la gang», toute universitaire que je sois? (tiens, encore!) Mais ça a peut-être plus à voir avec un autre duo de concepts : l’indifférence versus la passion… Peut-être que le parler populaire est plus senti, semble plus proche des émotions que ce qui passe dans le filtre du rationnel et du «bon parler français». Je ne sais honnêtement pas. Mais merci d’avoir écrit ça et d’avoir ainsi lancé la discussion.
Je pense que la méfiance est un bon mot. Je dis souvent que je préfère de loin les gens candides, parce que bien souvent, ce n’est pas par manque d’intelligence qu’ils le sont, mais parce qu’ils n’ont pas tendance à se jouer du monde, parce qu’ils sont profondément bons, qu’ils sont candides. La méchanceté est si étrange à leurs yeux qu’ils n’imaginent pas les autres l’être. Donc, ils ne se méfient pas. Et ça, c’est d’une grande beauté.
Des fois je me dis que si les gens se méfient autant, c’est parce qu’eux, s’ils avaient un avantage sur l’autre, ou un avantage d’agir d’une certaine manière, ils le feraient. Je me demande si les gens ne se méfient pas tant d’eux-mêmes que des autres. S’il y a une forme de projection, dans leur méfiance. Parfois la méfiance nait des blessures du passé, parfois d’une pure ignorance (et peur de l’inconnu), parfois de nous-mêmes.
Votre passage « Dire les choses crûment serait aussi un gage d’authenticité. » m’a fait rire, me rappelant ce sketch: http://zonevideo.telequebec.tv/media/31994/authentique/like-moi
Haha! Oui! J’avais bien aimé ce sketch aussi!
Tout à fait raison. C’est un gars du peuple. Son langage coloré ne met en aucun doute son intelligence et sa dévotion 🙂
Merci. Votre texte me fait du bien et résume le malaise que je vis en ce moment. Universitaire, la seule dans ma lignée ascendante, je viens d’une famille d’origine très modeste. Je me sens naturellement proche des gens qui ressemblent à d’où je viens. Pourtant, ils me regardent avec distance et suspicion. Je reçois des reproches de raisonner théoriquement et de ne pas être dans la pratique, même si j’y suis concrètement à tous les jours. Je n’ose plus débattre non plus car je ne veux pas m’inscrire dans une logique manichéenne. Je commence à saisir tout le sens du mot conversation que Pauline Marois avait tenté de réintroduire sous la risée générale. Bref, je me sens dans une impasse. Il nous faudrait généraliser les principes de l’Art de la rencontre (art of hosting) à une société entière et dans tous ses rapports sociaux.
Je comprends. Je me sens parfois trop intello dans ma famille… et vraiment pas assez intello quand je suis avec des vrais intellos. Trop abstrait, trop simple, ou pas assez. J’essaie maintenant de construire des ponts au lieu de me sentir seul dans ces différents milieux que je côtoie.
Excellent texte qui suscite bien des réflexions.
Salut Mickaël. J’aimerais partager longuement avec toi sur ce sujet mais je manque un peu de temps. Alors j’irai à l’essentiel. Tu mentionnes que tu n’as pas fait d’études. Pas de CEGEP même. Et bien, moi, je vais te dire que ça paraît. Ça crève les yeux. Et pas à peu près.
Tu es, depuis quelque temps déjà, le seul foutu chroniqueur que j’ai encore plaisir à lire/écouter, tous médias confondus. Tes sujets, ta façon de les aborder, les mots choisis… Il y a quelque chose d’unique dans ton travail qui te démarque, selon moi, de l’ensemble de tes confrères de l’époque. Une humanité, une humilité qui manque cruellement à tes semblables.
De là à dire que c’est ton manque d’instruction standardisée qui te préserve de la vacuité et la fatuité commune à ta profession, il n’y a qu’un pas à franchir. Ce que je m’empresse de faire à l’instant… Lâche pas la patate Mickaël, on aime beaucoup ton beau programme.
Merci de souligner ces aspects en particulier. Merci!