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Les failles théoriques

C’est une phrase que je sors vraiment souvent, parce qu’elle démontre bien comment on peut sortir des conneries dans la vie. Dans une obstinade avec Marge, Homer lui lance, à un moment: «En théorie, le communisme marche, Marge! En théorie!»

Au premier degré, on dirait une simple attaque envers les différents systèmes communistes qui ont souvent servi d’excuse pour mettre en place des régimes autoritaires, ou de sa «chute» avec la fin de l’URSS. Mais quand on y pense, on pourrait remplacer le mot communisme par bien d’autres théories (qui sont plus belles ou plus faciles en théorie que dans la pratique). Le capitalisme, par exemple. L’anarchie aussi. La théocratie. Puis la vie éternelle, pourquoi pas? La théorie de la relativité d’Einstein est prouvée mathématiquement depuis des années, mais dans la pratique, on n’a encore que quelques miettes.

Souvent, je suis frappé par ces personnes qui vivent dans leur théorie, dans des idées qui se casseraient les dents dans la réalité, parce qu’elle est trop obtuse, trop ancrée dans un cadre théorique qui ne tient pas compte de la réalité, des incalculables effets papillon de la vie, des innombrables hasards de la vie, de l’impossibilité de résumer la vie à des colonnes de chiffres, à ignorer l’irrationalité des émotions, etc.

Comme cette théorie voulant qu’une personne pauvre puisse, s’il n’en tient qu’à elle, se sortir de la pauvreté. Ou cette idée qu’une victime n’a qu’à prouver son agression pour condamner l’agresseur. Et qu’une victime doit avoir une vie parfaite avant son agression pour pouvoir être une victime. Il y a aussi cette idée que le cancer est un combat qui se gagne avec de la volonté. Que les artistes qui vivent de leur art ont nécessairement du talent, mais pas les autres.

Quand la théorie frappe des murs dans la vie, c’est que la théorie ne marche pas. Ou qu’elle a besoin d’ajustements, qu’elle doit être corrigée ou qu’elle fait carrément fausse route. Des fois il ne manque pas grand-chose. Des fois c’est juste impossible.

Je sais qu’en théorie, par exemple, les femmes ont les mêmes droits et accès que les hommes. Elles peuvent rentrer dans les tavernes. Elles peuvent voter. Elles peuvent se présenter aux élections. Elles peuvent diriger des entreprises. Elles peuvent réussir à l’école. Elles peuvent animer à la radio.

Sauf que lorsqu’on regarde les chiffres, la théorie se pète la gueule. Seulement 21% de femmes députées en septembre 2015 au Québec. Moins d’une ville sur cinq est dirigée par une mairesse. Parce que la politique ce n’est pas pour les femmes? Parce que les femmes n’aiment pas les horaires chargés? Ou peut-être est-ce que les femmes manquent de modèles et que lorsqu’elles sont jeunes, on a plus tendance à les faire rêver de devenir actrice, infirmière ou enseignante plutôt que politicienne?

Je sais qu’en théorie, par exemple, les homosexuels, les lesbiennes, les personnes trans et queers ont les mêmes droits que les cisgenres et hétéros. La communauté LGBTQ, en théorie, peut se présenter aux élections. Peut siéger sur des conseils d’administration. Peut diriger Desjardins. Peut animer sur une radio populaire sans avoir à cacher son orientation. Comme une actrice.

Sauf que lorsqu’on tape Coeur de Pirate sur Google, son coming out vient plus rapidement que ses albums. Comme c’est le cas pour les chanteurs hétérosexuels, non?. Sauf que ce n’est pas comme ça. Bien non, si tu tapes Céline Dion, ce n’est pas son hétérosexualité qui sort en premier, ce sont ses chansons (ou sa carrière), des entrevues…

Je sais qu’en théorie, par exemple, les immigrants ont les mêmes droits que les personnes nées au Québec. Avec leur éducation recherchée par le gouvernement, tout ce beau monde peut venir pratiquer la médecine au Québec, ou le droit, le génie civil, la psychologie ou la scène. Oups, non, encore une fois, la réalité nous montre que ça ne marche pas comme ça devrait. Les immigrants éduqués ont un plus haut taux de chômage que les Québécois. Ils se font plus souvent refuser des logements. Pourtant, en théorie, ça devrait aller, non?

En théorie, on dit que plus les riches sont riches, plus la richesse qui déborde de leurs poches va tomber dans les poches des personnes juste en dessous, et ainsi de suite, s’assurant d’une forme de redistribution de la richesse. Mais cette théorie du ruissellement n’a encore jamais fonctionné dans la vie. La vérité, c’est que bien souvent, les premiers qui ont la coupe pleine ont le temps de boire quelques refils avant que ça déborde sur la coupe d’en dessous. T’sais, la vente pyramidale, ce n’est pas illégal pour rien.

Si pour toi, il n’y a pas de sexisme ni de culture du viol, comment expliques-tu le taux d’agressions que subissent les femmes et le chemin qu’il reste à faire pour une parité dans plusieurs domaines? Comment appelles-tu ça, alors?

S’il n’y a pas de racisme systémique, alors comment appelles-tu ça qu’un Tremblay se fasse plus souvent rappeler pour un emploi ou un logement qu’un Saoussenne? Comment le nommes-tu? Et comment améliores-tu la situation?

Si les gais peuvent célébrer les victoires, comment expliquer que tu doives faire un livre là-dessus? Comment expliquer le taux de suicide plus élevé chez les homosexuels? Ou le stress qu’ils peuvent vivre à l’idée d’afficher leurs préférences?

Si toutes ces fois où l’on a ajouté des voies de circulation à des autoroutes n’ont jamais réglé le trafic, pourquoi s’entêter à continuer à croire en cette solution?

Si pour sortir de la pauvreté, il suffit de travailler, pourquoi ceux et celles qui travaillent à temps plein ont, dans plusieurs cas, besoin d’aller voir les banques alimentaires et demeurent sous le seuil de la pauvreté?

Comment expliquer que la réalité soit si loin de la théorie? Comment calfeutrer ces failles théoriques?