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Les femmes en radio, c’est plate, mon Gilles?

Les femmes qui parlent d’affaires publiques, c’est plate. C’est pas moi qui le dit, c’est Gilles Parent.

«Le problème, c’est que la plupart du temps, dans les affaires publiques, quand j’écoute des filles, pour moi, c’est un turn off presque partout, alors je me dis : “Christie! J’ai-tu besoin d’avoir une fille juste pour une fille? Une opinion de fille?” Je ne sais pas. Je ne peux pas l’expliquer. Ça n’a rien à voir avec du sexisme. Vous pouvez me lancer des tomates» a dit l’animateur de Québec alors qu’il parlait de l’art d’animer à la radio.

À un moment, son collègue, Nic (Nicolas Lacroix j’imagine), se demande si ce n’est pas parce qu’on n’a jamais vraiment pris le temps encore de s’habituer d’avoir des femmes faire ce type de radio, si ce n’est une déclinaison de la saucisse Hygrade. Parce qu’il faut le préciser, on parle ici d’animer des émissions d’affaires publiques à la radio, et plus encore d’animer et d’émettre des opinions. Donc pas juste interviewer ou animer des émissions musicales. C’est une hypothèse que Gilles Parent semble rejeter.

«Est-ce qu’on leur donne la chance? Oui. Je pense qu’il y a bien des filles qui ont eu cette chance-là et qui n’ont pas toujours démontré ça. Elles ne veulent pas déplaire et ce n’est pas tout le temps leur tasse de thé», dit Gilles Parent à un moment.

L’animateur du FM93 dit qu’en télévision il en voit plein de femmes qui prennent les devants, il dit même qu’il croit que les personnes qui se démarquent le plus à la télévision sont, en ce moment, des femmes.

Il y a peut-être ici, justement, une partie de l’explication. La télévision est probablement le médium le plus consensuel, sauf quelques rares chaînes spécialisées. Ce n’est pas à la télévision qu’on a les projets médiatiques et journalistiques les plus audacieux. Ils sont beaucoup plus sur le Web ou en imprimé.

Consensuel. À la télévision, il ne faut pas choquer ou déranger. Et la plupart des animateurs radio qui font du talk ne passeraient pas à la télévision, d’ailleurs, ils ne sont pas assez consensuels. Un Jeff Fillion, un André Arthur ou un Sylvain Bouchard ne tiendraient pas à la télévision. Sous cet angle, les femmes peuvent donc se démarquer plus facilement qu’en radio, parce que les contraintes envers elles versus les gars y sont moins grandes.

Je m’explique. En général, les femmes reçoivent plus facilement des critiques que les hommes. On le voit en politique, dans les sports, dans la musique et dans les médias. Pour un même travail, la femme reçoit toujours plus de commentaires qui n’ont rien à voir avec ses qualités professionnelles. On va parler de son look, de ses cheveux, de sa voix, de son corps, de son langage, de son maquillage, etc. Parlez-en à Chantal Machabée, à Safia Nolin, à Myriam Ségal, à Serena Williams, etc.

Donc si on est dans un milieu où l’on cherche le consensus, comme à la télévision, le formatage «Général» et «Pour tous» aide, la marginalité étant déjà souvent évacuée en amont. Il n’y a pas une si grande différence entre un Sébastien Benoit et une Élise Marquis, lorsqu’ils animent un quiz, par exemple. Tu dois déjà plaire pour qu’on te laisse faire de la télé, en général.

Ceci dit, ça s’ouvre un peu grâce à des femmes comme Mariana Mazza, mais même là, ce qui semble surprendre chez Mariana est, en fait, une vision mise de l’avant depuis longtemps dans les milieux plus marginaux. Un relatif consensus dans l’underground finit, un moment donné, par rattraper la culture pop.

Bref, revenons à la radio parlée, d’opinions, d’affaires publiques. Une femme qui irait avec un ton comme Jeff Fillion, ça ne marcherait pas. Elle se ferait traiter de pas mal de noms, elle se ferait retirer des ondes. Même sans aller aussi coloré que Fillion, juste le fait qu’une femme ait des opinions fortes, ça dérange encore. Une femme qui ferait des entrevues raides à la Paul Arcand, ça passerait encore difficilement.

Quand tu penses que Chantal Machabée se fait ramasser juste quand elle fait un bulletin sportif, imagine si elle coinçait Bergevin en posant les vraies questions. Repensons à comment Lili Boisvert se fait troller avec ses émissions et ses prises de position. Ou Manal Drissi avec ses billets d’humeur à Radio-Canada. Elle a failli laissé tomber, elle aussi, tannée.

Je pense que Judith Lussier, par exemple, aurait le bagout pour animer ce genre d’émission. Elle a l’intelligence, la répartie, la culture générale et le front. Pourtant, elle a quand même cessé ses chroniques d’opinion dans Le Métro, usée par les tonnes de commentaires de merde qu’elle reçoit. Pas des gens qui l’obstine sur ses idées, mais des hommes qui la traitent de malbaisée, des hommes qui la dénigrent elle, pas ses idées. Jeff Fillion a beau dire qu’il se fait traiter de cave, ça reste sur ses idées, il ne doit pas souvent se faire menacer de viols collectifs et de lui déchirer l’anus.

Alors les femmes en radio, elles sont coincées dans ce créneau-là. D’une part, si elles veulent persévérer dans le métier, elles ne doivent pas faire trop de vagues. Si elles n’en font pas, elles ne se démarquent pas.

Si en plus, des animateurs vétérans et respectés comme Gilles Parent dit que ça le turn-off entendre des filles parler d’affaires publiques, ça doit t’enlever le gout à pas mal de filles. Au lieu de la tape dans le dos et de l’encouragement, c’est une stigmatisation et une forme de découragement. C’est comme dire à un jeune d’oublier tel sport, parce qu’il est gros, ou dire à un jeune d’oublier la médecine, parce qu’il est pauvre. Ça n’incite pas à se dépasser (sauf dans quelques exceptions qui deviendront des films à succès plus tard, exemples de résilience).

Et là, je n’entre même pas dans la manière dont on élève les femmes en général, sur les stéréotypes avec lesquelles les femmes doivent grandir et subir. T’sais, un petit gars, ça aime ça se battre, comme le dit le ministre Proulx, mais les petites filles, elles, on leur apprend pas vraiment à se battre. Ça n’empêche pas certaines d’être bonnes là-dedans, mais c’est déjà un combat, souvent, pouvoir l’être, pour elles.

Bien franchement, tu as dit qu’on pouvait te taxer de sexisme sur celle-là, bien je le fais: c’est du sexisme.