Alors que ma face ne laissait rien présager d’une barbe qui deviendrait emblématique, une amie du secondaire avait lâché ce commentaire, pendant qu’on discutait en plein cours de sciences physiques 436: «Beurk! Je trouve ça tellement pas beau des favoris pis une barbe!».
Sur le coup, je lui ai demandé pourquoi, mais j’ai gardé mes idées pour moi. On était en 1998 et la barbe n’était pas cool du tout et sur le coup j’ai caché mes ambitions pilaires (dans ma tête, je savais déjà que j’allais porter une barbe ou un Franz Josef), d’autant plus que j’avais 15 ans et que j’étais encore imberbe… pis encore plus timide que je peux l’être aujourd’hui.
D’ailleurs, ce mépris envers la barbe touffue a légèrement ralenti le moment où j’ai porté la barbe complète. Ce n’est que vers 2003 ou 2004 que j’ai commencé à le faire, à tout laisser pousser. C’était, quand même, bien avant la mode de la barbe et on m’a déjà pris pour un clochard, on m’a traité de pas propre, des employeurs m’ont demandé de la raser, ma mère me suppliait de la raser, etc.
Je raconte ça et je sais très bien que cette anecdote n’arrive pas à la cheville des pressions sociales que subissent les femmes avec le poil. En fait, je ne raconte pas ça en pensant faire pitié, au contraire, il n’y a absolument rien pour faire pitié. Pis j’aimerais que ça soit pareil pour la femme. Que ça ne soit pas une norme pis qu’on s’en fiche un peu.
Aujourd’hui, je trouve ça triste que mon amie du secondaire ait lâché un beurk. Pas qu’elle n’aime pas les barbes, mais sa façon de l’exprimer. Comme lorsque j’entends des gens lâcher des « ark! jamais je serais capable d’embrasser un roux! eurk! » qui sonne avec autant d’écoeurantite que s’ils parlaient de marde. « Ouach, une aisselle poilue sur une fille! ARKEUH! » semble aussi dégueulasse qu’un cadavre de deux semaines trouvé dans une forêt. Il y a une marge entre des préférences… et être dégoûté.
Je pense qu’on peut se calmer le dégoût sur le poil. Je ne lance pas des «ARK! DÉGUEU!» chaque fois que je croise quelqu’un qui porte du rouge à lèvres. C’est pas dans mes goûts, pis je fais pas chier les autres avec ça. Je n’ai pas à transformer ma préférence en dégoût incontrôlable. J’arrive même à trouver ça beau dans certains contextes, malgré mes préférences, et même si, parfois, ça m’écoeure aussi. Je ne vois pas pourquoi je devrais l’exprimer chaque fois.
Imaginez s’il fallait s’exclamer avec autant de verve chaque fois qu’on voit un truc sur quelqu’un qui n’est pas dans nos goûts. Marcher dans la rue serait vraiment pénible. Pour tout le monde!
Parlant de préférences, je le dis, moi j’aime les femmes qui assument leur poil. Je trouve ça plus beau. Aisselles, entrejambes, jambes, ventre, pas de stress. En même temps, je m’en fiche, les filles font avant tout, et surtout (!), ce qu’elles veulent avec leur corps pis je ne dirai jamais à une amie et encore moins à ma compagne de ne pas se raser si elle, elle préfère se raser. Mais si on me pose la question, oui, je trouve ça plus beau avec le poil.
C’est pour ça que c’est important des mouvements comme Maipoils. Pour montrer que se raser ou ne pas se raser devrait être un choix, une liberté, et non une pression sociale.
Tu veux te raser les aisselles? Go! Tu ne veux pas te raser les aisselles ou les jambes? Gâte-toi! Cette décision devrait venir de nos goûts, pas des normes.
Une adolescente, l’autre jour, me confiait qu’elle pensait que pour être hygiénique, il fallait se raser! Aïe! Vite! Ramenez des cours de biologie et d’éducation sexuelle à l’école! Elle ne me croyait pas que des gens portaient le poil… tout étant propre. Que cette manie de se raser partout était une habitude très récente. Pis que le poil il est là pour te protéger, normalement. Si ça pousse, c’est qu’il sert à quelque chose (protection, hygiène, hormones)!
J’imagine qu’il y aura toujours des modes sur le poil, comme je racontais pour ma barbe plus haut. Mais, en ce moment, l’absence de poil féminin est plus lourde que la mode du fluo qui fait son retour, c’est ostracisant.
Tout ça pour vous inviter à écouter les entrevues réalisées par Maipoils. Il y a des réflexions intéressantes, pas juste sur le poil, sur la norme en général, sur notre relation avec notre corps.
Et à ceux et celles qui s’exclament avec virulence en voyant du poil sur une femme: c’est juste du poil.