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Suis-je courageux?

Vous avez été nombreux et nombreuses à m’écrire à la suite de ma chronique «Le poids des mots» du mag de juillet. En courriel, sur le site, sur Facebook (surtout), publiquement et en privé, et même du courrier dans un cas. C’est rare, maintenant, la poste.

Plusieurs ont parlé de courage pour ce texte et je ne sais pas. Certes, j’ai hésité. Pas tant dans l’écriture que l’envoyer au VOIR et être certain de vouloir dévoiler tout ça publiquement. J’ai hésité avant de peser sur «Envoyer». J’avais même une autre chronique prête, advenant que je change d’idée.

Alors, est-ce courageux ou non? J’y vois plus un travail d’humilité et d’honnêteté que de courage. C’est une forme de saut dans le vide, certes, mais je n’arrive pas à me voir comme quelqu’un de courageux, parce que je laisse tomber un masque, parce que je me présente tel que je suis, parce que je pose des questions. Ça en dit long sur la société que se mettre à nu, ou être soi-même, est vu comme du courage.

Dans un spectacle, l’humoriste Amy Schumer revenait aussi sur ce mot. Après qu’une photo d’elle où on voyait beaucoup de peau et peu de vêtements soit devenue virale, elle trouvait ça troublant de voir sa photo circuler avec le mot »courageuse». En gros, elle disait: «Que dois-je comprendre sur ma beauté si me montrer est courageux?» Ça envoie un message paradoxal, quand même.

Néanmoins, je me demande encore si ce qui me manque pour dévoiler mon corps publiquement comme l’a fait Amy et d’autres personnes comme mon amie Julie Artacho, est du courage. Ou de la confiance? Ou de l’humilité? Qu’est-ce qui me manque pour écraser ma honte? Je ne suis pas sûr que ce soit le courage. Sinon, est-ce que ça signifie que je suis lâche quand je ressens un malaise avec? Lorsque j’ai envie de le cacher? Lorsque j’ai honte?

Puis, le courage signifie d’affronter quelque chose, mais que dois-je affronter exactement? Parce que ce n’est pas tant l’adversité et le regard des autres que de mon propre regard sur mon propre corps qui me freine, avant tout.

Certes, mon biais s’est construit avec tous les messages que la société envoie, avec tout ce que j’ai décrit dans ma chronique, mais j’ai accepté ce message. Je l’ai adopté. Et comprendre le mécanisme ne signifie pas réussir à le défaire.

Je suis à contre-courant assez régulièrement dans ma vie par rapport à la société, dans ma vision des choses, dans les valeurs que je chéris, dans mon approche, et sur bien des aspects, la majorité, je le fais sans me remettre autant en question, parce que je suis à l’aise avec mes idées et mes convictions.

Il est vrai que pour d’autres notions anormes ou non-conformistes, j’ai des appuis ailleurs, que ce soit chez des intellectuel.le.s, par exemple, ou des complices dans la vie. Ce sont aussi des sujets moins personnels, qui ne viennent pas toucher d’une manière aussi directe et englobante ce que je suis.

Malgré tout, ma propre honte, qu’importe ses origines, fait que je tiens pour acquis que les gens vont me juger et qu’ils auront raison avec leur jugement. Je fais de la projection. Je transpose mon biais sur les autres, même sur ceux et celles qui n’émettent aucune opinion. En fait, tant qu’on ne m’affirmera pas le contraire, je vais tenir pour acquis que les gens ont cette idée négative envers mon corps parce que j’ai moi-même profondément ancré cette idée dans ma tête.

Une idée si forte, un biais si imprégné, que je sais maintenant, avec le recul, que j’ai blessé quelques personnes, parce que je ne voyais pas du tout que ces femmes flirtaient, ressentaient quelque chose pour moi. Je suis désolé de n’avoir rien vu. C’est cliché dire ça, mais c’était vraiment moi le problème, je ne voyais même pas vos avances. Tout simplement parce que, pour moi, c’était impossible, utopique, que ça puisse arriver. Ça demeure encore quelque chose difficile pour moi d’accepter cette possibilité.

Alors, est-ce du courage qu’il me faut pour défaire mon biais? Je ne sais pas. Suis-je lâche?

Je sais néanmoins que l’amour m’a aidé. L’amour des autres envers moi, accepter que je puisse aussi m’aimer, que les autres puissent m’aimer. Une bonne partie de la valeur que je me donne – ou l’absence de valeur que je me donne diraient certaines de mes amies – vient d’une absence d’amour. Une absence qui est devenue un cercle vicieux. Un peu comme la chanson »J’fais d’la poud’» des Vulgaires Machins. L’un encourage l’autre et ainsi de suite.

La solitude est sûrement l’une des choses les plus lourdes à porter. Je ne parle pas nécessairement ici de célibat, mais de solitude. On peut être célibataire et être richement entouré, soutenu, encouragé, aimé. On peut aussi être en couple et être bien seul au monde quand même. La solitude, être toujours seul.e dans les moments difficiles et heureux. Être seul.e régulièrement, voire toujours, c’est nocif pour la santé mentale.

On a tous besoin d’affection, qu’elle soit amoureuse, amicale, familiale, fraternelle ou professionnelle. On ne peut pas simplement s’apprécier soi-même, on a besoin d’une réponse quelque part, d’être signifiant pour quelqu’un, pour des gens.

Ceci dit, même si l’amitié et la famille peuvent donner de l’affection, même si on peut s’accomplir professionnellement, plusieurs années de célibat – sans aucune fréquentation ou quelconque forme d’intimité, ça laisse des traces. On ne peut pas se contenter que d’une forme d’affection, elle doit être plurielle. Et passer plusieurs années sans être touché change la façon qu’on aborde les relations sociales, qu’on se regarde et qu’on se laisse approcher.

Après quelques années sans fréquentations, et sans partenaires sexuelles, le manque finit par passer. C’est d’affection que tu rêves, tu ne te mets plus à fantasmer sur des positions, sur des amantes, des contextes et autres, non, tu fantasmes simplement que quelqu’un te touche et te regarde avec affection. Tu fantasmes sur une simple caresse remplie d’affection.

Les Beatles l’ont chanté, «love is all you need». Une vie sans amour est une vie en manque de sens.

Il me semble que l’amour ne devrait pas demander de courage.