Je me suis longtemps demandé si c’était moi le problème. Si j’étais niaiseux. Je regardais les hommes cruiser dans les films, dans les séries télévisées, souvent un froncement de sourcils pas loin.
Il y a ces scènes, par exemple, où le gars est lourd. Il ne lâche pas, n’arrête pas de relancer la fille, même si elle le trouve gossant, même si elle lui dit non, pis, à un moment donné, il arrête de jouer le macho et se la joue tendre : il lui écrit un pseudo poème ou lui chante une chanson d’amour, ou lui dit, pour la première fois, que dans le fond, derrière tous ses moves de paon et de coq, tout ça n’était que pour masquer le tendre qu’il est au fond de lui-même. Et là, BAM! à ce moment-là, la fille cède et tombe enfin en amour avec le gars.
Ça m’a longtemps troublé, et ça me trouble encore. Premièrement, je ne pourrai jamais jouer ce jeu-là. J’ai zéro coq en moi, je suis toujours tendre et mes cartes sont toujours jouées dès le départ. Ensuite, je ne comprends pas pourquoi, tout d’un coup, le poème de la dernière chance vient effacer tout le harcèlement des jours et des semaines précédentes.
Comme si c’était ça l’amour : le fait de succomber à quelqu’un qui nous aime tellement (mal), si fort (avec trop de pression) et à en perdre la tête (littéralement). C’est triste comme vision de l’amour.
C’est quand même ce que j’ai presque toujours vu, de toute ma vie, comme façon de faire. Que ce soit dans les films, mes amis, mais aussi de la manière dont mes amies se faisaient draguer et même parfois de la manière dont elles tombaient en amour. « Il m’aime tellement, c’est fou! » Peut-être, mais l’amour ce n’est pas d’être aimé follement, c’est une histoire de complicité, de réciprocité, de rencontre, pas de vénération.
Il y a eu cette fois où elle m’a demandé si j’étais gai. Je venais de passer la nuit à dormir dans le même lit qu’elle, comme j’ai souvent fait avec des amies, sans faire aucun rapprochement, sans la toucher, sans rien faire, et ce n’est pas qu’elle ne m’intéressait pas, au contraire. Je me suis contenté de la regarder dormir et de la trouver belle. Quelques heures plus tard, j’ai compris qu’elle aurait voulu que je me rapproche.
Il y a eu cette fois où elle a ri quand je lui ai demandé si je pouvais l’embrasser, ou si elle en avait envie. Elle me répond qu’elle se demandait quand j’allais le faire.
Il y a eu cette fois où j’ai dormi, encore une fois, dans le même lit qu’une amie, alors que j’étais de passage dans sa ville. Elle m’intéressait et m’avait déjà proposé quelque chose. Dans ma tête, toutes ces fois où des amis et des amies m’ont dit que je devais faire des moves. Mais quel move sans permission? Je ne comprends pas ce que c’est supposé être.
J’avais osé, cette nuit-là, poser ma main sur son ventre. Je ne pense pas avoir fait plus que mettre ma main là. Pendant tout ce temps, j’étais terrorisé. Pas tant à l’idée qu’elle me rejette, mais que je la heurte, que je m’impose. Dormait-elle assez profondément pour ne pas s’en rendre compte? a-t-elle fait comme si de rien n’était? Je n’en sais rien, mais devant son manque de réaction, j’ai fini par enlever ma main, pris de terribles remords, non pas qu’il ne se soit rien passé, mais par cette crainte de l’avoir agressée, même avec ce petit geste.
Chaque fois, je me trouve niaiseux. Une impression d’être maladroit. De ne rien connaitre. Toujours tous ces discours de la culture populaire qui reviennent en tête. Tous ces propos de mes amis et amies décomplexées, qui, eux et elles, jouent le jeu de la cruise. Qui sont entreprenant.e.s. Bien-entendu, j’ai peur d’être rejeté, mais plus encore, j’ai peur de transgresser l’absence de consentement.
J’ai donc longtemps cru que c’était moi qui avais un problème, que j’accordais peut-être trop d’importance à cette notion du consentement, que je sacralisais peut-être trop l’intégrité des autres, que je n’étais pas assez entreprenant.
Je regarde, par exemple, l’échange de textos de Gilles Parent envers Catherine Desbiens. Je repense à ces histoires de Weinstein, Rozon, Salvail, Brûlé et à toutes celles dont j’ai entendu parler et qui ne sont pas encore sorties. Je me remémore toutes ces fois où des amies ont dû repousser encore et encore le même gars à la fermeture d’un bar. Je repense à toutes ces amies qui reçoivent des photos de pénis. Je pense à tous ces amis qui pensent que leur technique de cruise… est de la cruise et non du harcèlement. Je me rejoue toutes ces histoires d’amour dans les films.
Même si j’ai une profonde peur de franchir cette indiscutable ligne du consentement, même si je tente d’être à l’écoute, je ne pense pas être blanc comme neige pour autant. Je me suis sûrement déjà imposé ou fait des moves non désirés avec des filles avec qui j’étais en relation, j’ai dû participer à cet humour sexiste, j’ai sûrement déjà trop dévisagé une fille à la rendre mal à l’aise, ces fois où je n’ai rien dit, et quoi d’autre auquel je ne pense pas.
Sauf que je regarde cette belle vague d’indignation de cette semaine, et finalement, je ne suis peut-être pas complètement niaiseux.
Est ce un article de Michael ?? mon ancien voisin ?? Bonjour Michael ..Pierre larouche 5 ieme rue : Bye
Bien oui, c’est ton ancien voisin!
Très beau texte qui me fait penser beaucoup à moi dans mon plus jeune temps.
Bonjour Mickaël,
Excellent texte comme d’habitude!
Je me reconnais dans cette lecture, il m’est arrivé pratiquement les mêmes choses.
Merci beaucoup, ça fait du bien de te lire et ce rendre compte qu’on n’est pas seul.
J’aime bien ce côté un peu maladroit que vous évoquez. Il parle d’une capacité à savoir être là sans s’imposer, à savoir recevoir et donner…
Le résultat est peut-être maladroit quand l’amour n’est pas au rendez-vous, mais le jour où il le sera c’est la meilleur des pistes de décollage.
Les pros des moves ont quantitativement plus d’aventures, mais leur manière de conquérir le terrain ne leur permettra jamais de connaître la beauté de ce qui naît quand on offre de l’espace d’expression à l’autre…