Pour le journal du congrès de la Fédération des journalistes du Québec (FPJQ) qui aura lieu à la mi-novembre, on m’a demandé d’écrire sur un sujet qui me tient à coeur: la diversité dans les médias. Comme ce journal est surtout accessible aux journalistes membres de la FPJQ, j’ai décidé de le partager ici aussi.
Depuis un bon moment, se promènent sur les réseaux sociaux les hashtags #DéciderEntreHommes et #DéciderEntreBlancs. Ces mots-clics visent à identifier les nombreuses fois où des lieux de décisions ou de pouvoir sont très majoritairement, voire exclusivement, masculins et blancs. Les milieux politique et économique sont très souvent pointés du doigt, mais qu’en est-il du milieu médiatique?
Ces dénonciations ne cherchent pas à traiter les gens sur les photos de racistes ou de sexistes, ça importe peu, en fait. L’idée n’est pas de savoir si le contexte explique la situation, mais bien de souligner la répétition de ces situations. L’objectif est de démontrer qu’il y a un problème systémique, que ça arrive trop souvent pour que ça ne soit qu’une question de mauvaise volonté, que même des gens attentionnés et sensibilisés à ces enjeux peuvent aussi se retrouver coincés dans un système qui discrimine certaines portions de la population.
Alors que le gouvernement libéral scrute la discrimination systémique et le racisme*, les médias seraient bien naïfs de se croire au-dessus de ce biais social. Ses artisan.e.s sont, après tout, le fruit de cette société comme ceux et celles qui s’impliquent en politique, en affaires, en justice, en éducation, etc. Aucun milieu ne peut se prétendre au-dessus de ce biais.
Selon les données de 2011 de Statistique Canada, une personne sur cinq au Canada fait partie d’une minorité visible. Les salles de nouvelles des médias reflètent-elles cette réalité ? Difficile d’avoir les données, mais à regarder les différentes équipes, mon pif me dit que non. Il y a bien certains visages qui amènent une diversité, mais je doute que nous arrivions à une personne sur cinq. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps, une photo de la salle de nouvelles de La Presse avait été accompagnée du hashtag #DéciderEntreBlancs. À peu près n’importe quelle photo d’un scrum pourrait recevoir un #ReporterEntreBlancs. Probablement que les photos prises au dernier congrès de la FPJQ aussi…
Est-ce que cela signifie que les patrons des médias québécois sont racistes? Non. Cela signifie que la discrimination systémique agît dans notre milieu comme elle le fait dans les autres milieux professionnels. Il est toutefois important d’en prendre conscience. Puisque les médias sont considérés comme un pilier de la démocratie, le « 4e pouvoir », ils se devraient de combattre, ou du moins, de dénoncer ces situations. Leur responsabilité n’est pas la même que l’industrie de la plomberie, mettons.
Plus encore, et surtout – parce que jusqu’à maintenant cela relève de l’évidence –, il faut réfléchir à l’impact de ce biais sur notre travail. Comment cela teinte-t-il notre couverture des événements, des décisions politiques, des problèmes sociaux? Comment cela influence-t-il notre compréhension des enjeux? Comment cela joue-t-il sur notre recherche des scoops? Sur ce qui devient prioritaire ou secondaire, voire inintéressant?
Il serait prétentieux de croire que notre volonté et nos efforts pour être neutre et objectif nous évitent tout biais et subjectivité. De plus en plus d’études démontrent, par exemple, que la longue domination masculine en recherche scientifique a appauvri les recherches concernant les femmes pendant des années, au point que certains médicaments se révèlent inadéquats, voire dangereux, pour les femmes. La neutralité théorique de la science n’a pas empêché un biais de la part de ses chercheurs, même sans mauvaise intention dans bien des cas.
Soyons honnêtes, parfois, nous parlons d’un problème législatif non pas parce que nous avons examiné tous les impacts d’un projet de loi, mais parce que le hasard a fait qu’un.e journaliste s’est buté.e, dans sa vie privée, sur ce problème. Même si cette situation existait depuis des années, elle passait inaperçue, elle était invisible à notre oeil. Il est toujours plus difficile de remarquer ce que nous ne connaissons pas. C’est humain. D’où l’importance des sonneurs d’alertes et des «Ma chouette».
Ferions-nous une meilleure couverture des affaires autochtones si nos salles de nouvelles avaient plus d’Autochtones? Personnellement, ma compréhension de ces enjeux et de ces problématiques a fait un grand bond en avant après avoir côtoyé quasi quotidiennement des membres de ces communautés pendant quatre ans, sur la Côte-Nord.
Jusqu’à maintenant, c’est à peine si j’ai effleuré la surface de ce sujet complexe de la diversité médiatique et de l’homogénéité des journalistes. Qu’en est-il de la représentativité des personnes handicapées, par exemple, et de notre capacité à en comprendre réellement les enjeux et les impacts? Combien de journalistes ont connu la pauvreté, l’aide sociale? Combien de journalistes sont immigrants ou ont été des réfugiés? Combien sont musulman.e.s ou sikhs? Combien de personnes trans?
J’ai un malaise lorsque je vois trois hommes blancs discuter à la télévision si, oui ou non, il existe du racisme systémique au Québec. C’est un manque flagrant de sérieux. C’est comme demander à trois hommes de parler de la capacité ou de l’incapacité à travailler enceinte. Ou demander à trois personnes sveltes de discuter des défis de vivre avec l’obésité. Oui, ne pas avoir vécu une situation n’implique pas automatiquement qu’on en parle mal, mais le risque de déconnexion suit le ratio d’homogénéité. Ça crée un effet d’entraînement.
La diversité aide à rééquilibrer ce glissement naturel et inconscient que nous avons tous et toutes. Je dis souvent que le problème de la radio de Québec n’est pas qu’elle soit de droite ou d’opinion, mais que trop de stations passent leur temps à se copier. C’est un problème de diversité plus qu’un problème d’idées (même si on pourrait se passer de la désinformation que peuvent faire certains animateurs de ces radios).
Pendant le congrès de la FPJQ, pour ceux et celles qui y seront, observer notre faune. À vos yeux, semble-t-elle diversifiée? Aurions-nous les mêmes débats et les mêmes panels si nous étions moins homogènes?
* au moment d’écrire ces lignes, le gouvernement n’avait pas encore transformé la consultation en forum sur l’emploi…