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Être un gros tas ou un gros cave?

Dans l’autobus, je prends de la place. Bon, pas seulement dans l’autobus, dans un train, dans un avion, au cinéma aussi, je prends de la place. Mais là, c’est de l’autobus dont j’ai envie de parler.

Je prends de la place, mais je suis un garçon poli qui tente de penser aux autres et je vis un dilemme lorsque l’autobus est plein. Un dilemme que j’ai, non sans humour, résumé ainsi dans ma tête: est-ce que je préfère être vu comme un gros cave ou comme un gros tas?

L’affaire, c’est que si j’enlève mon sac du banc où je l’ai déposé, je ne laisse pas, malgré tout, un banc complètement libre. Disons libre aux trois quarts, peut-être, ou aux cinq sixièmes. J’ai jamais vraiment calculé ça, mais je déborde un peu du banc prévu. On pourrait facilement débattre de la grosseur et de la forme des bancs, mais là n’est pas le point.

Ce qui arrive habituellement, c’est que peu de gens prennent cette place libre, probablement parce que personne n’a envie d’être coincé entre moi et une autre personne. Et là, j’ai l’air d’un gros tas qui prend trop de place.

Si je décide plutôt de laisser mon sac sur le banc, le résultat est sensiblement le même, personne ne me demande de l’enlever, mais là, j’ai l’air du gros cave qui préfère que son sac ait un siège plutôt que le laisser à une personne debout dans l’autobus.

Je me posais donc cette question en m’amusant: est-ce que je préfère avoir l’air d’un gros cave ou d’un gros tas? Qu’est-ce qui est le pire?

Personnellement, je trouve ça vraiment pire de me considérer gros cave. Sauf que je ne suis pas d’accord avec le terme « gros tas », non plus. Moi je ne le pense jamais, toutefois, je sais que des gens peuvent le penser lorsqu’ils voient une personne déborder de son banc. Mais il peut m’arriver de trouver cave une personne qui laisse son sac sur un banc dans un autobus bondé.

Je me suis demandé ce qui pouvait être le pire aux yeux des gens et bien franchement, je n’arrive pas à trancher. Et je trouve ça profondément triste.

C’est triste parce que ça signifie que les gens sont peut-être plus sévères envers une silhouette, envers un état physique, qu’envers un comportement. C’est triste parce que ça signifie que dans ma vie, je pense subir plus de violences sur mon corps qu’envers mes faits et gestes. C’est triste, parce qu’on blâme de la même manière, mettons, un état pour lequel la personne n’y peut parfois rien, ou si peu, et une action volontaire.

J’aimerais ça me tromper, mais l’existence d’une campagne comme «Le poids? Sans commentaire!» et les mouvements de «body positive» semblent me donner raison.

Je regarde comment des dizaines de personnes soutiennent des agresseurs et comment des dizaines varlopent une Safia Nolin sur son apparence, et j’ai cette déprimante impression qu’on pardonne plus, comme société, à des gestes égoïstes, à des actions violentes, qu’à une forme physique, qu’à un corps. J’ai cette impression que je serais moins rejeté pour une connerie que je pourrais faire que pour mon obésité.

Si vous doutez de la violence des gens envers un corps qui ose déborder sur le banc voisin, j’aurais plein de témoignages de gens qui se sont fait écoeurer ou invectiver de prendre trop de place, par des mots ou des regards, je pourrais recueillir plein de beaux propos sur les «Spotted» de ce monde. Mieux encore, je vous invite à vous remémorer ce que vous vous dites quand vous êtes confrontés à ça dans une salle de spectacle ou au cinéma… ou dans l’autobus.

Alors, selon vous, quel est le moins pire, être un gros tas ou être un gros cave?