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Les beaux-arts dans l’extrême gauche

Je reviens de deux semaines en France. J’y allais en premier lieu pour participer aux 11es Assises internationales du journalisme de Tours, mais comme on ne traverse pas l’océan Atlantique toutes les semaines, j’ai étiré mon séjour de quelques jours.

J’ai déjà écrit quelques trucs sur mes promenades à Tours, Bordeaux et Paris, et j’écrirai bientôt sur ce qui a été discuté aux Assises, mais j’ai mis à part ma visite d’une exposition au Musée des Beaux-arts de Paris. Une exposition qui se démarquait par son propos: l’art dans l’extrême gauche de la France des années 1960-1970.

Une visite que j’aurais pu manquer, mais sur laquelle je suis tombé par hasard, alors que j’errais dans Paris en sortant du Musée du Quai d’Orsay. Ayant déjà un intérêt pour les luttes sociales, aimant les arts, j’étais vraiment content que cette expo croise mon chemin.

Entrée du Musée des Beaux-arts de Paris
Entrée du Musée des Beaux-arts de Paris
Titre de l'exposition
Titre de l’exposition

J’ai malheureusement égaré mes quelques notes que j’avais prises sur certaines oeuvres (comme le nom des auteurs ou autrices), mais j’ai pris plusieurs photos, que j’ai sous-divisées en sections.

Évidemment, il y avait dans cette exposition plusieurs oeuvres dont on pourrait peut-être, dans certains cas, discuter si c’est une oeuvre ou non, ou si c’est un outil de propagande, ou une affiche sans valeur artistique. Je pense par exemple à ces classiques affiches bicolores, voire en noir et blanc, où on retrouve simplement un slogan. Si certaines sont visiblement faites d’une manière plus précipitée, il serait réducteur et même snobinard d’enlever toute qualité artistique à ces affiches qui répondent à un courant très identifiable, qui répondent à certains codes établis, qui, aussi, sont créées dans un certain contexte.

En voyant la variété d’affiches imprimées – et encore, la centaine qu’on pouvait voir dans cette exposition n’était qu’un échantillon -, il se dénote clairement une créativité et un souci artistique dans plusieurs de celles-ci. Déjà, le bicolore, ou le noir et blanc, provient souvent du manque de moyens reliés aux luttes citoyennes. Un manque de temps, souvent, voire une urgence de produire rapidement et efficacement une affiche pour un mouvement spontané, une réaction sociale, un appel à la rue improvisé.

Ces contraintes ont participé à créer un style et un code artistique dans les affiches qui, elles-mêmes, ont ensuite influencé l’art de manière générale.

Voici donc quelques exemples d’affiches vues dans cette exposition. Je les ai retenues soit pour l’aspect visuel, soit pour le message mis de l’avant ou encore pour leur représentativité. Vous pourrez voir deux exemples d’affiches appelant à se méfier des médias, ou dénonçant un biais médiatique ou disant carrément que les médias sont tous des vendus au pouvoir. Une autre affiche est intéressante dans la mesure où elle dénonce certains dogmatismes ou glorifications de personnalités, comme un rappel que les luttes sont faites par les masses. Plusieurs affiches aussi dénoncent la brutalité policière. Celle qui parle de la propreté m’a bien fait rire, mais a quelque chose de très concret et profond en même temps.

J’ajouterai ici que ce n’est pas parce que je partage une affiche ou oeuvre ici que j’appuie le message qui est dessus.

Exemples d'affiches classiques
Exemples d’affiches classiques
L'art c'est vous
L’art c’est vous
Plusieurs affiches appellent à se méfier des médias
Plusieurs affiches appellent à se méfier des médias
Il n'y a pas de sauveur
Il n’y a pas de sauveur
Patrons c'est la guerre
Patrons c’est la guerre
Symbolisme récurrent de la brutalité policière
Symbolisme récurrent de la brutalité policière
La lutte est partout
La lutte est partout
Nous sommes tous indésirables
Nous sommes tous indésirables

Plusieurs affiches ou oeuvres accompagnent des luttes ouvrières, des grèves. Certaines se démarquaient par leur qualité artistique. Une que je vous présente est là pour représenter une formule récurrente, celle de la cheminée d’usine se terminant en un poing fermé. J’attire aussi l’attention sur celles mentionnant «La police s’affiche aux Beaux-arts, les Beaux-arts s’affichent dans la rue», qui est clairement une réponse des étudiant.e.s de l’époque devant une répression policière et un appel aux artistes de se joindre aux luttes citoyennes.

Les Beaux-arts affichent dans la rue
Les Beaux-arts affichent dans la rue
Fosse qui ferme, fosse qui résiste
Fosse qui ferme, fosse qui résiste
La grève vous concerne tous
La grève vous concerne tous
LIP, une des grandes luttes syndicales de cette période.
LIP, une des grandes luttes syndicales de cette période.
Vivre et vaincre
Vivre et vaincre

Autre grand volet des revendications de la gauche des années 1960-70 en France est la solidarité internationale et les conflits armés. Que ce soit dénoncer le colonialisme, le racisme, le régime de Pinochet au Chili, la guerre d’Indochine, les artistes ou les militant.e.s usent de créativité pour soutenir ces luttes. Une plus grande variété s’installe ici, en usant parfois de la peinture, de l’illustration ou de la photo (celle utilisée pour le Chili est magnifique). On remarque aussi un autre niveau dans l’utilisation du symbolisme et dans la composition des images. On est moins dans l’urgence et l’efficacité.

Soutenir les luttes au Chili
Soutenir les luttes au Chili
Soutenir les luttes ibériques et dénoncer des politiques françaises
Soutenir les luttes ibériques et dénoncer des politiques françaises
Mohammed Laid Moussa assassiné par les fascistes
Mohammed Laid Moussa assassiné par les fascistes
Luttes anticoloniales au Congo
Luttes anticoloniales au Congo
Solidarité avec l'Indochine
Solidarité avec l’Indochine
Contre le système colonial
Contre le système colonial

Il n’y a pas que les arts visuels qui étaient présents dans l’exposition. On pouvait feuilleter plusieurs publications et médias appuyant ou nés pendant ces luttes, des clins d’oeil à la poésie et à la musique militantes, mais aussi au cinéma.

Attica
Attica
Chants poèmes et dessins
Chants poèmes et dessins
Chants révolutionnaires
Chants révolutionnaires

Un autre volet incontournable est le féminisme, qui, parfois, se mêlait aux luttes ouvrières ou anticoloniales, mais aussi avec ses propres revendications et ses appels aux changements. Deux exemples d’une revue, un «menstruel», Le torchon brûle, avec parfois des dossiers toujours actuels. On voit aussi le côté éclaté de certaines illustrations de ces années, un côté psychédélique qu’on ne voit plus vraiment. L’illustration de la jeune femme qui semble dénoncer plus d’une chose. Finalement, une magnifique oeuvre photographique où l’artiste a collé plusieurs photos d’elle dans différentes situations et à différents âges afin de dénoncer la manière dont on traite le corps féminin: «Which of this bodies are they refering?»

Je préfère me masturber,
Je préfère me masturber plutôt que coucher avec un militant
Le torchon brûle
Le torchon brûle
Le torchon brûle
Le torchon brûle
Wich of this bodies are refering?
Wich of this bodies are refering?

Finalement, je termine avec des oeuvres qui sont sans aucun doute des oeuvres d’art. Certaines sont des immenses peintures (comme celle sur la Chine ou celle sur la guerre du Vietnam – ou d’Indochine?), faisant plusieurs mètres. D’autres reprennent des éléments du décor public, comme des panneaux, par exemple, pour revendiquer un environnement sain. Il y a aussi cette peinture inspirée par la mort d’un gréviste, tué par la police, qui est magnifique! Une autre est une oeuvre inspirée par une grande marche pour appuyer les luttes en Amérique latine.

La longue marche
La longue marche
Panneau contre la pollution
Panneau contre la pollution
Panneaux contre la pollution
Panneaux contre la pollution
Peinture inspirée par les luttes
Peinture inspirée par les luttes
Peinture inspirée par la guerre
Peinture inspirée par la guerre
Peinture inspirée par la Chine
Peinture inspirée par la Chine
Peinture inspirée par le décès d'un manifestant par la police - détails
Peinture inspirée par le décès d’un manifestant par la police – détails
Peinture inspirée par le décès d'un manifestant par la police
Peinture inspirée par le décès d’un manifestant par la police
La victoire appartient aux travailleurs
La victoire appartient aux travailleurs

Si vous passez par Paris ce printemps, l’exposition est là jusqu’au 20 mai. Plus sérieusement, j’ai trouvé très intéressant cette ouverture des Beaux-arts de Paris de considérer l’art présent dans les mouvements sociaux, du tract fait dans l’urgence à des oeuvres abstraites inspirées par l’actualité, c’est un regard sur des codes visuels qui ont influencé la culture populaire et l’art en général et de souligner l’aspect artistique qui est parfois dans l’ombre du militantisme et du message mis de l’avant. Il serait intéressant qu’un musée au Québec propose une rétrospective similaire.